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Puis, deux membres de l’opposition ont introduit un amendement, appelant respectueusement l’attention de sa majesté sur ce fait, que ses ministres ne possédaient plus la confiance du parlement. La discussion, continuée le lendemain mardi, suspendue le mercredi, reprise enfin le jeudi 11, s’est terminée vers minuit par un verdict de non-confiance, voté par 350 voix sur 660. Grâce à des absences qui se balançaient de part et d’autre, le fameux chiffre de 40 était maintenu. Deux discours ont dominé tout le débat, celui de Gladstone et celui de Chamberlain. On a beaucoup applaudi le second, qui n’a jamais été plus brillant ; on a beaucoup admiré le premier, qui n’a jamais été si habile. M. Chamberlain, dans ce déploiement vraiment splendide de tous ses dons, a fait amèrement sentir au parti libéral quel homme et quelle force ce parti perdait en lui. Il a tracé, des difficultés que va rencontrer le nouveau cabinet, un tableau magistral, achevé, illuminé, çà et là, par des mots charmans ou des mots saisissans. Mais, en dressant la carte des écueils qui menacent la barque de M. Gladstone, n’a-t-il pas rendu service à ses adversaires ? Montrer à cette majorité précaire comment et par où elle se désagrège, n’est-ce pas lui enseigner l’impérieuse nécessité de l’union ? Quant à M. Gladstone, son éloquence a été d’or, puisqu’elle équivaut au plus discret, au plus adroit des silences. Il a répondu à M. Redmond en paraissant s’adressera M. Mac-Carthy, et retenu ainsi les parnellistes dans son alliance. Il a flatté la démocratie et lui a ouvert un large horizon sans faire de promesse, sans prendre aucun engagement. Au moment du vote, pas une voix ne s’est égrenée, pas une désertion ne s’est produite.

La seconde épreuve de M. Gladstone, c’était la formation du ministère. Le cabinet compte dix-sept membres, mais il y a, de plus, vingt ou trente charges politiques, d’importance inégale, à distribuer. Quel jeu de patience ! quelle mosaïque d’ambitions rivales et de théories ennemies ! La tâche était ardue : elle est accomplie.

M. Gladstone a réinstallé aux meilleures places ses fidèles des bons et des mauvais jours, ce qu’on appelle familièrement la vieille bande (the old gang). Deux ou trois seulement, qui ont plus de soixante-dix ans, se sont jugés, avec raison, trop âgés pour collaborer avec un homme aussi jeune que M. Gladstone. La démocratie londonienne voit ses deux favoris, sir Charles Russell et lord Rosebery, l’un attorney general et l’autre chef du foreign office. Deux membres du cabinet, M. Asquith et M. Acland, sont, dit-on, socialistes. Le nouveau chancelier de l’échiquier, sir William Harcourt, vice-leader du parti, a dit récemment : « Nous sommes