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sans doute, mais cela réussit souvent. C’est cette politique, opportuniste s’il en fut, qui a mené à Rome la maison de Savoie et rouvert le Bosphore à la Russie. On prétend que l’Angleterre a quelquefois joué de cette politique-là. Il serait très fâcheux et peut-être très dangereux d’en user contre elle, car elle est aujourd’hui, en dépit de sa crise intérieure et de sa maladie sociale, aussi vigoureuse que jamais. M. Gladstone, j’en suis certain, ne voudra induire personne en tentation. Son loyal désir de régler, suivant l’équité et l’intérêt, les questions pendantes, sera déjà un progrès sur le passé et un commencement de solution.

Si importante que soit pour toutes les nations du continent et, en particulier, pour la France, la future politique du cabinet Gladstone, cette question semble petite si on la compare au grave, universel problème de réorganisation sociale que va rencontrer devant lui, à l’intérieur, ce même ministre. Et ce problème, vraiment, nous touche un peu, car il s’agit de savoir non quel drapeau flottera sur une terre plus ou moins lointaine, mais si la société moderne continuera à vivre, si elle sera transformée ou détruite, si elle matera et assimilera les barbares du dedans ou si elle sera, par eux et avec eux, réduite en atomes.

À ce point de vue, la lutte qui a eu lieu à Newcastle, le 25 août, est le véritable épilogue des élections, et c’est un épilogue rassurant. Comme tous les autres ministres de M. Gladstone, M. Morley était obligé de solliciter à nouveau le vote de ses constituans. Au mois de juillet, il avait eu le chagrin, je ne veux pas dire avec lui « l’ignominie, » de voir passer avant lui avec trois mille voix de majorité un candidat unioniste, de notoriété strictement locale, et, à ce qu’il semble, longtemps dédaigné par les conservateurs de Newcastle. Encouragés par ce premier succès, les adversaires de M. Morley se flattaient de l’évincer lui-même à l’élection du 27 août. Une coalition d’aigres rancunes et de vanités blessées s’était formée, sous la direction secrète de certain grand homme avorté qui a essayé de jouer les Chamberlains à Newcastle et que ce rôle a écrasé. Il est tombé si bas qu’il n’ose même plus combattre ses ennemis en face. À une telle coalition et à un tel chef, l’inévitable Keir Hardie, l’adversaire juré de toutes les supériorités, prêtait son concours. On comptait que les ouvriers, égarés par mille mensonges, condamneraient sans appel l’homme qui depuis vingt-cinq ans a marché à l’avant-garde de toutes les réformes populaires, mais qui ne se résigne pas à ce fatal divorce de la liberté et de la démocratie.

M. Morley est venu à Newcastle, entouré d’hommes qui formaient une sorte de ligue du bien public et témoignaient en sa faveur,