Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/416

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Venez directement en France ! Il n’y a pas d’autre patrie pour vous. Vous y trouverez la république que votre opinion appelait lorsque votre conscience vous liait à la royauté. Vous la trouverez illustrée par la victoire et délivrée des crimes qui ont souillé son origine. Vous la soutiendrez, parce qu’il ne peut plus exister en France de liberté que par elle et que vous êtes comme héros et comme martyr tellement uni à la liberté, qu’indifféremment je prononce votre nom et le sien pour exprimer ce que je désire pour l’honneur et la prospérité de la France.

« Venez en France ! vous y trouverez des amis qui vous sont dévoués, et laissez-moi espérer que mon occupation constante de vous, mes inutiles efforts pour vous servir, me donneront quelques droits à un peu d’intérêt de votre part. »

Cette lettre si éloquente, et qui marque une date dans les divers états d’esprit de Mme de Staël, était suivie de quelques lignes affectueuses et aimables de Mathieu de Montmorency, alors à Coppet : « La constante occupation de vos malheurs et de votre courage a survécu en moi et survivra toujours à mon éloignement de toute activité. Mais je crois que je retrouverais tout mon ancien enthousiasme pour fêter celui à qui j’en ai vu un si constant pour la liberté. » Cette unanimité de toutes les âmes libérales à fêter La Fayette est le jugement le plus favorable de sa conduite pendant la Révolution.

Les deux ou trois jours qu’il passa à Hambourg furent employés à remercier Huger, Fitz-Patrick, Masclet[1]. Ses lettres sont vivantes de reconnaissance et d’affection ; elles honorent son cœur, qui resta toujours droit et bon. Il s’acquittait le mieux qu’il pouvait de cette dette la plus sacrée dès le premier jour de sa mise en liberté.

M. Parish, consul des États-Unis, avait fini par représenter à M. de Buol, ministre d’Autriche, que la saison avancée, la mauvaise santé de Mme de La Fayette, ne rendaient plus possible le départ de la famille pour l’Amérique ; que, d’autre part, les événemens qui s’accomplissaient à Paris ne permettaient pas une installation en Hollande. Un troisième parti s’imposait, le séjour dans le Holstein. C’est celui qui fut adopté. L’installation de La Fayette à Hambourg était surtout ce que le gouvernement autrichien voulait éviter.

Le 10 octobre, le général et sa famille partirent en effet pour Wittmold, où la sœur de Mme de La Fayette, la marquise de Montagu,

  1. Voir Correspondance, t. IV, p. 375 et suiv. ; Mémoires d’Anne-Paule-Dominique de Noailles, marquise de Montagu, par M. Callet ; Rouen, 1859, 1 vol., p. 172.