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et leur tante, la comtesse de Tessé, s’étaient fixées pendant l’émigration. Ce fut un grand événement : « Le son des trompettes du jugement dernier ne les eût pas autrement émues, que la fanfare du postillon annonçant, suivant l’usage allemand, l’entrée dans la ville[1]. » Les prisonniers d’Olmütz arrivaient. Mme de Montagu courut éperdue au bord du lac et se jeta dans un petit bateau à voiles, qui n’avait pour pilote que le vieux M. de Mun. Elle se fit conduire à Ploën et se trouva bientôt dans les bras de sa sœur. Il lui semblait en la voyant a qu’elle retrouvait en elle plus qu’elle-même, c’est-à-dire sa mère, sa sœur de Noailles et tout ce qu’elle avait perdu. »

Le général, bienveillant, doux et calme comme à l’ordinaire, présenta à sa belle-sœur ses fidèles Bureaux de Puzy et Latour-Maubourg, puis, Théodore de Lameth, son ancien aide-de-camp, et Pellet, un de ses officiers d’ordonnance, qui étaient venus le rejoindre en route. Mme de Tessé attendait sa nièce sur la rive ; elle la reçut avec tendresse, et ce fut, ce jour-là et les suivans, fête à Wittmold ; toute la parenté y fut logée. Les amis s’installèrent à Ploën ; mais ils passaient le lac deux ou trois fois par jour. « Les eaux de ce pauvre petit lac, ordinairement bi tranquilles, n’étaient pas plus troublées par ce va-et-vient continuel que ne l’était au fond de l’âme Mme de Montagu par le bruit et la véhémence inaccoutumés des entretiens de la table et du salon. Il ne faut pas demander de quoi l’on y parlait. De quoi y eût-on parlé, sinon de politique ? »

Le champ était vaste, et on le parcourait en tous sens du matin au soir. Mme de Tessé, qui était là dans son élément, ranimait la conversation, quand elle languissait. Nous connaissons Mme de Tessé, un des types les plus accomplis de la femme du XVIIIe siècle, avec ses yeux perçans, sa bouche fine, mais tiraillée par un tic nerveux qui la faisait grimacer en parlant avec infiniment de grâce et encore plus d’esprit. Incrédule et charitable ; « on la voyait plus souvent sur le chemin des pauvres que sur le chemin de l’église. » C’était elle, tour à tour mordante et sentencieuse, qui discourait le plus au milieu du silence de l’auditoire attentif. Les aides-de-camp du général apportaient dans la discussion un peu moins d’esprit et plus de passion ; ils avaient moins d’aigreur contre la Révolution qui les avait proscrits, que contre les émigrés qui avaient applaudi à leur chute et contre les princes qui avaient refusé de s’appuyer sur eux. On pouvait pressentir leur opposition sous la Restauration.

Quant à La Fayette, « il était si peu changé qu’on rajeunissait

  1. Voir Dépêches de Buol à Thugut et de Thugut à Parish, 4-14 nov. 1797.