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intrigans essayaient de réveiller l’ambition dans l’âme de l’ancien commandant des gardes nationales. Cet écrit nous montre un La Fayette mûri, et il nous semble intéressant d’en parler[1].

Il n’abdique aucune de ses convictions libérales. Il n’est pas de ceux que le spectacle des événemens ait absolument découragé. Son rêve était trop haut pour que les malheurs et les mécomptes aient pu l’atteindre. À ses yeux, c’est le 10 août qui a tout perdu, parce qu’il a consacré la violation des sermons constitutionnels. «Un nouveau bouleversement dans les hommes, dans les opinions, dans les mesures, portant la terreur et le dévergondage, corrompt jusqu’au fond le cours des idées libérales qui avait pu quelquefois être partiellement troublé, mais qui toujours avait été maintenu par la doctrine de l’assemblée constituante et par le dévoûment sans bornes des premiers chefs de la capitale. » Il condamne la politique des girondins ; mais il reconnaît que, dans les derniers temps, ils prirent une attitude toujours honorable, que leurs discours et leurs journaux, seules armes à leur usage, devinrent de courageux plaidoyers contre les progrès du terrorisme. Quant au roi, La Fayette ne cesse d’en parler avec respect et un certain attendrissement. Jamais son procès n’a été jugé avec plus de sévérité : « Le malheureux Louis XVI, dont ses prétendus amis avaient mieux aimé la perte que de le voir sauvé par moi, ne tarda guère à être assassiné par la plus monstrueuse procédure. Tout ce qui devait le protéger comme roi et comme citoyen, l’acte constitutionnel, l’inviolabilité jurée, la nécessité des lois préétablies et des formes établies, les amnisties passées, les incapacités légales, les motifs de récusation, la proportion des voix en matière judiciaire, tout fut foulé aux pieds. La Convention, exerçant rétroactivement contre lui les fonctions constituantes et législatives, osa cumuler encore les rôles de dénonciateurs, témoins, jurés d’accusation, jurés de jugement, ministère public, juges et pouvoir exécutif.» Et La Fayette raconte que lorsque ses deux amis et lui furent conduits en janvier 1791 de la prison de Wesel à celle de Magdebourg, se trouvant avec un négociant de Francfort et le maire de Lipstadt, ces messieurs, qui étaient connus du général Scholler, commandant d’escorte, obtinrent la permission de causer avec les prisonniers. À propos des premières procédures contre le roi, ils leur dirent : « Nous venons du quartier-général des émigrés, vous êtes les seuls patriotes que nous ayons vus et les premiers Français qui nous aient parlé décemment de ce malheureux procès. »

  1. Voir Souvenirs en sortant de prison, p. 304, 306, 509.