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Il n’y a pas de paroles plus humaines que celles qui tombent des lèvres de La Fayette lorsqu’il parle de la mort de l’infortunée reine et de l’angélique Madame Elisabeth et il cite le mot de la duchesse d’Angoulême, mot peu connu : «Si ma mère eût pu vaincre ses préventions contre M. de La Fayette, si on lui eût accordé plus de confiance, mes malheureux parens vivraient encore. » Mais c’est quand il arrive à juger les jacobins que La Fayette sent la colère lui monter au cœur. Il se souvient du meurtre de son ami, le vertueux La Rochefoucauld, de l’exécution du maire de Strasbourg, le brave Dietrich, du martyre de Bailly, de l’immolation de Barnave, tous accusés de fayettisme. Aussi peu de pages sont plus vibrantes d’émotion que celles où sont marquées au fer rouge toutes les violences et toutes les folies sanguinaires de la Terreur. Il accuse nettement Danton d’avoir, après le 6 octobre, reçu de l’argent de M. de Montmorin[1], « qu’il fit en conséquence assassiner au 2 septembre, » et plus tard de la cour, quelque temps avant le 10 août, « pour tourner en faveur du roi l’émeute annoncée. »

La Fayette, dans ce même écrit, reconnaît que la Convention a créé des institutions utiles, et fait la meilleure constitution qui ait existé en Europe, la constitution de l’an III. Il exprime un regret, et ce regret est tout patriotique et inspiré par son tempérament militaire. il parle de la journée de Valmy et il ajoute : « Si je n’avais pas été proscrit, les fautes des ennemis et les hasards du temps auraient mis dans mes mains un succès infiniment plus marquant et beaucoup moins méritoire que ma campagne contre lord Cornwallis. Aussi, dès ce moment, suis-je devenu indifférent à toute ambition militaire. »

Voilà le cri qui lui échappe ! Il n’a jamais regretté que cela, ne s’être pas, en 1792, illustré par une victoire. il parle avec enthousiasme des armées de la Révolution. Il admire leur obéissance sous les armes[2], leur désintéressement, leur caractère généreux, « qui, pendant que la France était souillée par la férocité ou dégradée par la résignation, distinguèrent au deors ses troupes victorieuses. Elles furent longtemps le refuge de l’honneur national. » Avec quelle chaleur et quelle sympathie il cite le nom de Hoche qu’il avait connu simple sergent !

Quand, au contraire, il fait un retour sur lui-même, la modestie qui accompagnait son honnêteté lui dicte ces paroles : « J’ai su quelquefois profiter, pour le succès de mes vues, de grandes circonstances

  1. Page 329.
  2. Pages 344 et 360.