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surtout sur la ferme et sur les bois. Il s’enfonce dans l’étude des questions agricoles. Il ne peut s’habituer maintenant à la pensée d’aller s’installer dans l’État de Virginie, ou bien à portée de la ville de Boston. « D’ailleurs, il ne nous manque que le premier dollar pour acheter notre ferme. Cette incertitude, dit-il à son admirable femme, doit être ajoutée à bien d’autres sans que vous deviez vous en tourmenter. » Il apportait dans ces années de gêne une sérénité et une force morale sans égales[1].

Pendant ce temps, Pitt avait réformé la coalition, l’armée anglaise envahissait la Hollande, George La Fayette et Victor La Tour-Maubourg, le frère du prisonnier d’Olmütz, s’étaient engagés comme grenadiers dans les troupes hollandaises. Le général ne savait où reposer sa tête. Dans une lettre du 19 septembre 1799, il écrivait à sa femme : « Il y a aujourd’hui deux ans, chère Adrienne, que nous sortîmes de cette prison où vous étiez venue me porter la consolation et la vie. Que ne puis-je, après deux ans d’exil, augmentés de cinq ans de captivité, vous porter dans une paisible retraite l’assurance d’être réunis pour toujours !.. Comment nous arrangerons-nous, en attendant, pour passer ensemble une partie de l’hiver ? Voilà, mon cher cœur, la question que je me fais à moi-même, sans trop savoir comment y répondre. J’ignore si la Hollande sera suffisamment défendue par le général Brune et son armée gallo-batave. »

C’est alors que Mme de La Fayette, effrayée aussi de ce qu’elle entendait dire à Paris, tremblant de voir de nouvelles barrières s’élever entre son mari et elle, si la coalition parvenait à amener en Hollande une contre-révolution, prit la résolution de s’adresser à Sieyès, un des nouveaux directeurs.

La Fayette a tracé de lui un portrait ressemblant[2] : « Il est peureux, prend de l’humeur, ne sait pas plaire. Il ne peut ni parler d’abondance, ni monter à cheval ; c’est un abbé dans toute la force du terme, de manière qu’avec beaucoup d’esprit, de grandes facultés pour l’intrigue, et d’excellentes intentions à présent, il est resté au-dessous de sa besogne et de l’attente publique, surtout de celle de l’Europe, où sa réputation en bien et en mal a été fort exagérée. Il est dans la révolution ce que l’archevêque de Toulouse a été dans l’ancien régime ; tout le monde l’attendait sur le piédestal, et on s’est étonné de le voir si petit. »

Sieyès reçut Mme de La Fayette. Elle lui parla des dangers que courait son mari[3] et le prévint que, si les armées étrangères

  1. Correspondance, t. V, p. 70-84.
  2. Lettre à M. de Maubourg, t. V.
  3. Vie de Mme de La Fayette, p. 401.