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étaient victorieuses en Hollande, il viendrait chercher un asile sur le territoire français. Sieyès se disculpa d’être l’ennemi du général, l’assura de son désir de le voir rentrer, mais il ajouta qu’actuellement ce serait imprudent et que La Fayette serait plus en sûreté dans les États du roi de Prusse. — « Comment ! du roi de Prusse, qui l’a retenu prisonnier ! répondit Mme de La Fayette. Mon mari préférerait, s’il le faut, une prison dans sa patrie, mais il a en elle plus de confiance. » Et, sur ce mot, ils se séparèrent. Heureusement, le duc d’York, commandant de l’armée anglaise, fut réduit, le 18 octobre, à accepter une capitulation qui l’obligeait à rembarquer sans délai son armée, à relever les batteries détruites et à rendre à l’armée batave 8,000 prisonniers, sans conditions ni échanges.

Un autre événement dont La Fayette voyait avec perspicacité les conséquences venait modifier du tout au tout la situation. Bonaparte revenait d’Egypte. « Il peut devenir le maître de la France, écrivait La Fayette à La Tour-Maubourg ; quant à ses dispositions à notre égard, elles dépendront essentiellement de son intérêt et de ses projets actuels. Vous savez que son premier mot, en Italie, fut que je ne devais jamais rentrer en France. »

Mme de La Fayette savait tout cela. Sur ses conseils, son mari adressa cependant une lettre nouvelle de remercîmens à Bonaparte ; elle resta sans réponse. Bonaparte avait autre chose à faire : il préparait le 18 brumaire. Quand la partie fut gagnée. Mme de La Fayette, avec cette appréciation juste des choses qui ne lui faisait jamais défaut, jugea sur-le-champ que son mari, sans hésitation et sans rien demander à personne, devait rentrer en France, au moment même où l’on proclamait le retour à la justice. Elle obtint un passeport sous un nom supposé. Alexandre Romeuf le porta à La Fayette, sans aucune autre information. Il partit et débarqua à Paris, chez M. Adrien de Mun. Dans une dernière lettre à sa femme, du 30 octobre 1799, La Fayette lui montrait le fond de son âme : « Terminer la révolution à l’avantage de l’humanité, influer sur des mesures utiles à mes contemporains, rétablir la doctrine de la liberté, fermer des blessures, rendre hommage aux martyrs de la bonne cause, seraient, pour moi, des jouissances qui délasseraient mon cœur. Mais je suis plus dégoûté que jamais, je le suis invinciblement de prendre racine dans les affaires publiques ; je n’y entrerais que pour un coup de collier, comme on dit, et rien au monde, je vous le jure sur mon honneur, par ma tendresse pour vous et par les mânes de ce que nous pleurons, ne me persuadera de renoncer au plan de retraite que je me suis formé et dans lequel nous passerons tranquillement le reste de notre vie. »

C’est dans ces sentimens que, dans les premiers jours de