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novembre, La Fayette revenait de l’exil. Il y avait plus de sept ans qu’il avait quitté la France, et pendant ces longues années de souffrance, son âme ne s’était pas aigrie, son enthousiasme libéral ne s’était pas éteint. Mais, s’il restait toujours le représentant le plus vrai de 1789, la nation, dégoûtée des troubles civils et folle de batailles, avait oublié son idole du 14 juillet. Elle était aux pieds du jeune capitaine qui allait fonder la société issue de la révolution, et lasser la fortune et la gloire.


II.

Le premier acte de La Fayette à Paris fut d’écrire à Bonaparte : « Citoyen consul, depuis l’époque où les prisonniers d’Olmütz vous durent leur liberté, jusqu’à celle où la liberté de ma patrie va m’imposer de plus grandes obligations envers vous, j’ai pensé que la continuation de ma proscription ne convenait ni au gouvernement ni à moi-même ; aujourd’hui, j’arrive à Paris. Avant de partir pour la campagne éloignée où je vais réunir ma famille, avant même de voir ici mes amis, je ne diffère pas un instant de m’adresser à vous, non que je doute d’être à ma place partout où la république sera fondée sur des bases dignes d’elle, mais parce que mes devoirs et mes sentimens me pressent de vous porter moi-même l’expression de ma reconnaissance. »

Le général Clarke voulut se charger de remettre cette lettre à Bonaparte. Il s’était mis en colère, à la nouvelle de l’arrivée de La Fayette. Talleyrand s’était empressé de donner rendez-vous à l’ancien prisonnier. Regnault de Saint-Jean-d’Angély s’y trouvait.

Tous deux lui peignirent la fougue du premier consul et pressèrent leur interlocuteur, dans la crainte de mesures violentes, de retourner en Hollande. La Fayette était résolu à ne plus quitter la France. Il était prêt à se laisser arrêter, comme il le déclarait à Louis Romeuf. Il chargea Mme de La Fayette de revoir Bonaparte. Elle fut gracieusement accueillie par lui. « L’arrivée de M. de La Fayette, dit-il, entrave ma marche pour le rétablissement de mes principes et me force à serrer le vent. Je le conjure donc d’éviter tout éclat ; je m’en rapporte à son patriotisme. » Elle répondit que telle avait été toujours l’intention de son mari.

Rœderer et Volney vinrent le voir et lui répéter un propos semblable de Bonaparte. La Fayette quitta Paris et se rendit à Lagrange. Le premier consul adopta un système de silence à son égard, à ce point que, lorsque, le 1er février 1800, Fontanes prononça, aux Invalides, l’éloge de Washington, Bonaparte lui demanda de ne

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  1. Voir Mes Rapports avec le premier consul, p. 154 et suiv.