Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/431

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle vint de Cabanis, qui, après avoir appartenu au conseil des cinq cents, était entré au sénat après le 18 brumaire. Talleyrand de son côté lui renouvela l’offre d’être sénateur. Enfin, le général Mathieu Dumas vint s’expliquer avec lui sur son attitude, au nom du premier consul. « Personne n’aime passer pour un tyran, avait dit Bonaparte ; le général La Fayette semble me désigner comme tel. » — « Le silence de ma retraite, répondit-il, est le maximum de ma déférence ; si Bonaparte veut servir la liberté, je lui suis dévoué ; mais je ne veux ni approuver un gouvernement arbitraire, ni m’y associer. » Il n’accepta que le titre d’électeur départemental, quoiqu’il fût à vie ; et il profita d’une élection au corps législatif pour motiver son refus de candidature, auprès des électeurs de la Haute-Loire, en quelques mots publiés au Puy (19 juillet 1800) : « c’est dans la retraite, disait-il, et me consacrant enfin au repos de la vie privée, que je forme des vœux ardens pour que la paix extérieure soit bientôt le fruit des miracles de gloire qui viennent de surpasser les prodiges des campagnes précédentes, et pour que la paix intérieure se consolide sur les bases essentielles et invariables de la vraie liberté. Heureux que vingt-trois années de vicissitudes dans ma fortune et de constance dans mes principes m’autorisent à répéter, comme le 11 juillet 1789 : « Si, pour recouvrer ses droits, il suffit toujours à une nation de le vouloir, elle ne les conserve que par une austère fidélité à ses obligations civiques et morales. »

Il ne fut donc pas ébloui par le génie et la fortune. Il eut néanmoins, jusqu’au consulat à vie, des rapports avec Bonaparte. L’explosion de la machine infernale, le 3 nivôse, fut pour La Fayette une occasion d’aller lui rendre visite. En recevant ses complimens, le premier consul lui rappela leur conversation, à Morfontaine, sur la constante coopération des partis extrêmes dans les temps révolutionnaires. Comme La Fayette l’engageait à publier les preuves du complot, il lui fit observer qu’elles n’étaient pas susceptibles de publicité. Il ajouta que Louis XVIII lui avait écrit pour désavouer ce crime. « Sa lettre est bien, dit-il, la mienne aussi ; mais il finit par me demander une chose que je ne peux faire, c’est de le mettre sur le trône. » Alors il lui conta gaîment les propositions dont on chargeait sa femme Joséphine. « Ils me promettent une statue qui me représentera tendant la couronne au roi. J’ai répondu que je craindrais d’être enfermé dans le piédestal. Leur rendre le pouvoir serait de ma part une infâme lâcheté ! Vous pouvez désapprouver mon gouvernement, me trouver despote, on verra, vous verrez un jour si je travaille pour moi ou pour la postérité !.. Mais enfin, je suis maître du mouvement, moi que la révolution, que vous et tous les patriotes ont porté où je