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Les événemens allaient donner raison à l’empereur Alexandre La Fayette, durant la première Restauration, ne manqua ni de perspicacité, ni de tenue d’esprit. Il vit clairement que peu de mois suffiraient pour rendre la popularité à Napoléon. Il fait observer dans ses notes que si Louis XVIII, venant s’asseoir sur le trône constitutionnel de Louis XVI, en avait repris les couleurs, emblème de l’affranchissement du peuple et de la gloire de nos soldats, « il n’eût pas laissé à Napoléon ce talisman de l’insurrection. Mais on voulut que la nation et les troupes fussent marquées du sceau de l’ancien régime et de l’émigration. En vain les maréchaux pressaient le roi d’adopter la vieille garde. Il leur déclara qu’ils avaient raison et n’en fit rien. » La Fayette tenait de la bouche même du général Letort, des dragons de la garde, qu’ayant dit en leur nom, au comte d’Artois : « Prenez-nous, monseigneur, nous sommes de braves gens ! » — « La paix est faite, répondit-il, nous n’avons pas besoin de braves. » — C’est ainsi que cette troupe intrépide fut à jamais ennemie des Bourbons.

« Pensez-vous, demandèrent à La Fayette ses amis du faubourg Saint-Germain, que si le roi maintient la charte, la garde nationale le défendra ?» — « Oui, sans doute, répondait-il, d’autant mieux qu’elle y croit plus que moi. » — « Mais si l’on revenait à d’autres principes, qu’arriverait-il ? » — «Elle chasserait les Bourbons. » — Huit mois se passèrent aux Tuileries à hésiter sur cette alternative.

Il apprit à ses dépens, s’il l’avait oublié, que les rancunes des émigrés envers les premiers constitutionnels de la révolution étaient implacables ; ainsi, les journaux avaient retenti de la mort du commandant de bataillon Carle, un des riches joailliers de Paris, massacré le 10 août, après avoir fait des prodiges de dévoûment et de courage, en défendant le roi et la reine. Mais il avait fêté la prise de la Bastille en 1789 ; mais il avait demandé en 1792 de lever à ses frais une compagnie de volontaires pour courir à la frontière. Son sang versé, presque sous les yeux de la famille royale, n’avait pu laver ces torts. Jamais La Fayette et des personnages plus en crédit que lui ne purent obtenir une marque de bienveillance pour une famille dont la ruine avait expié l’héroïsme de son malheureux chef.

Des pamphlets commencèrent alors à présenter sous un jour faux le rôle et la conduite du général vis-à-vis de Louis XVI et de Marie-Antoinette pendant la Révolution. On vit même sortir de l’imprimerie royale un ouvrage du premier valet de chambre de Louis XVIII, M. Hue, où La Fayette était calomnié avec acharnement, particulièrement à propos des événemens du 6 octobre. Dans un autre écrit, sanctionné par le suffrage authentique