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dont on avait saisi une lettre insignifiante, adressée au roi de Naples, il ne se laissa point exiler ; on entoura sa maison : il menaça de se défendre. La Fayette lui fit proposer de venir à Lagrange ; mais il échappa au blocus et se réfugia chez un ami.

Cependant, malgré ces désenchantemens, la France avait recouvré plus de liberté qu’elle n’en avait eu pendant le règne de Napoléon ; La Fayette était obligé de le reconnaître. C’étaient les résultats sociaux et égalitaires de la révolution qui étaient menacés, plus que les libertés parlementaires ; et les masses tenaient plus aux uns qu’aux autres. Le mécontentement grandissait donc lorsque, tout à coup, on apprit que Napoléon était en Provence. Le cri d’alarme fut porté à Lagrange, où La Fayette était retourné. Il n’avait eu, depuis sa visite au roi et au comte d’Artois, aucun rapport avec la cour. Il s’était même abstenu d’y paraître au jour de l’an, trouvant dans les injures presque officielles dont il avait été l’objet, de quoi autoriser cette commode attitude de brouillerie personnelle. Il se rendit néanmoins à Paris, pour être à portée de servir la cause libérale.

Malgré son antipathie pour les opinions et les hommes de la contre-révolution, malgré leur haine implacable dont il avait eu récemment les témoignages les plus choquans, tandis qu’au contraire le souvenir reconnaissant de la délivrance d’Olmütz n’était pas effacé dans son cœur, La Fayette n’apportait de sa retraite que des vœux contraires au succès de Napoléon.

La conduite du général pendant les cent jours a été et est encore l’objet des plus vives critiques. Il importe de faire connaître avec exactitude ses sentimens, ses idées, le but auquel il tendait, avant d’asseoir un jugement. Les notes qu’il a laissées sur cette dramatique époque sont précises et portent un visible cachet de sincérité[1]. Il semblait encore possible à La Fayette, à ce premier moment du retour de l’île d’Elbe, de tirer un meilleur parti de la situation des Bourbons que du rétablissement de celui qu’il appelait le plus habile et le plus intraitable ennemi de la liberté. « Si l’on avait pu, disait-il, obliger les Bourbons à tirer leur charte de l’ornière du 4 juin, pour en faire un pacte national, on les aurait liés par des démarches et des institutions plus fortes qu’eux et leur parti et de nature à les renverser eux-mêmes, s’ils eussent tenté de les violer. Cela valait mieux que de reprendre le système de l’empereur, de livrer la France aux caprices et aux machinations de cet homme indomptable, portant avec lui une guerre générale dont le résultat probable devait être notre ruine, tandis que son

  1. Pièces et Souvenirs, 1814-1815.