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La Fayette répondit sur-le-champ : « L’appel que je reçois dans la crise où nous sommes ne me permet pas d’hésiter. Vous me trouverez un grand fonds d’incrédulité qui compense ma trop grande confiance de l’an VIII. Je vous embrasse de tout cœur. »

Le prince Joseph, qui l’appelait, avait toujours déploré la faculté laissée à Napoléon Ier[1] de tout faire jusqu’à se perdre. Il partageait les sentimens du parti constitutionnel et cherchait à nouer avec ses chefs, particulièrement avec La Fayette et Mme de Staël, des relations politiques. Il espérait persuader à son frère de se mettre en rapport avec les libéraux. Dès le lendemain de l’arrivée de La Fayette, il le reçut avec une grande affabilité. Après lui avoir tracé un tableau trop vrai des dangers de la patrie, il chercha à le convaincre que les puissances étrangères en voulaient à la liberté et à la France autant qu’à l’empereur. Sur ces points, La Fayette pensait comme Joseph ; mais leurs dissidences éclatèrent au moment où le prince déclara que les dispositions de son frère étaient amendées.

La Fayette rappela qu’il avait souvent regretté que son caractère fût inconciliable avec les libertés publiques : « Quelle que soit, ajouta-t-il, mon admiration pour le génie de l’empereur, et ma reconnaissance individuelle envers lui, je l’ai cru tellement incompatible avec la liberté de mon pays, que, l’an dernier, j’ai souhaité ardemment qu’une insurrection nationale fût suscitée à la fois contre l’invasion étrangère et contre le despotisme intérieur. Je me livrai à quelque espoir de voir les Bourbons eux-mêmes devenir constitutionnels et j’ai fait jusqu’au dernier jour des vœux pour eux contre la brillante entreprise de votre frère. J’avoue que je ne puis encore partager votre confiance ; mais il n’est jamais trop tard pour chercher à réparer ses fautes et les maux faits à l’humanité, et le moyen le plus efficace, le seul moyen de ramener la confiance publique, de susciter un esprit national, était de surmonter la répugnance que l’empereur paraissait avoir pour la convocation immédiate d’une chambre de représentans. »

Le prince Joseph avoua que cette répugnance était grande ; l’empereur, en partant pour la frontière, craignait de laisser derrière lui une assemblée constituante. Joseph regretta que l’acte additionnel eût été arrêté avant d’avoir pu le montrer à La Fayette. « Il y a une chambre des pairs, dit-il, et vous jugez bien que vous êtes le premier sur la liste[2]. » — « Il ne me convient pas, répondit son interlocuteur, de rentrer dans les affaires par la pairie,

  1. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XVIII, in fine.
  2. Voir Pièces et Souvenirs, 1814-1815, p. 418.