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ni par aucune autre faveur de l’empereur. Je suis un homme populaire, c’est par le choix du peuple que je dois sortir de ma retraite. Si je suis élu, je m’unirai à vous, comme représentant la nation, pour repousser l’invasion et l’influence étrangères, et conservant néanmoins toute mon indépendance. »

Le prince Joseph alla rendre compte à l’empereur de cette conversation, et le lendemain, il écrivait à La Fayette le billet suivant : « Dimanche matin. — L’acte constitutionnel sera publié aujourd’hui (22 avril) dans le Moniteur et soumis à l’acceptation de l’universalité des citoyens. Je ne serai pas aujourd’hui, ni ce soir chez moi, étant obligé d’être chez l’empereur, je ne pourrai donc pas avoir l’avantage de vous recevoir aujourd’hui. J’espère que vous me dédommagerez de ce contre-temps un autre jour, à votre choix. »

La Fayette, en le renvoyant, convint que, sauf le dernier article, l’acte additionnel valait beaucoup mieux que sa réputation, et il en tirait un argument de plus pour que la constitution fût immédiatement soumise à la délibération de la chambre des représentans. Le surlendemain, à un dîner chez le prince Joseph, dîner où se trouvaient Benjamin Constant, le principal rédacteur de l’acte constitutionnel, Mathieu Dumas, Sébastiani et Lavalette, La Fayette répéta : « Votre constitution vaut mieux que sa réputation ; mais il faut y faire croire, et pour qu’on y croie, la mettre immédiatement en vigueur. » D’après lui, une fois que les hommes marquans du parti libéral seraient réunis dans une assemblée. Napoléon n’était plus à craindre ; et il était prêt à se tenir pour satisfait, si l’on ne faisait pas attendre la convocation des chambres. Or, La Fayette était l’homme qu’on mettait le plus de prix à contenter, parce qu’il était le plus respecté des survivans de la révolution. Benjamin Constant se faisait alors son partisan, et lui disait : « Vous êtes ma conscience ; » et certes il en avait besoin.

Cependant, Napoléon hésitait à mettre en pratique la nouvelle constitution, redoutant toujours une chambre en son absence. Durant ces hésitations que le prince Joseph s’efforçait de combattre, le gouvernement sollicitait de La Fayette un autre service que son patriotisme était prêt à rendre. M. Crawfurd, ministre des États-Unis, avec lequel le général avait les meilleures relations, retournait en Amérique. « Croirait-on que ce puissant empereur dont jadis les ordres volaient sans obstacle d’Anvers à Naples, des portes de Cadix à Dantzig, eût dans ce moment besoin de moi, dit La Fayette, pour envoyer une lettre hors du cercle que ses ennemis avaient tracé autour de la France ? À peine Joseph m’eût-il parlé du départ de M. Crawfurd, que je pressentis son vœu, et comme j’étais