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massacres, prises et sacs de villes, on sent que c’était là pour ses contemporains une fonction de l’activité vitale aussi naturelle que la respiration. Sortir le matin de son donjon, avec quelques amis, pour aller couper la route à des cavaliers du parti contraire, se retrouver la nuit pour appliquer des échelles aux murs de quelque bicoque, ces plaisirs, ce sport, comme nous dirions aujourd’hui, étaient aussi instinctifs chez nos pères, aussi indispensables à leur contentement et à leur bonne hygiène que l’exercice de la chasse pour le propriétaire d’un domaine giboyeux. Les querelles de foi furent souvent, chez nos paysans des Boutières, une forme de la révolte démocratique contre les seigneurs ; et pour la noblesse, une occasion de continuer les mœurs féodales. Au besoin, on eût élevé du calviniste comme on élève aujourd’hui du lapin. Les Commentaires le font bien voir : c’est un livre admirable de férocité candide.

L’autre livre, plus doux, était l’Album du Vivarais, où l’excellent M. Albert du Boys décrivait, dans le style à la mode vers 1840, les beautés pittoresques de nos montagnes. Il y avait là un admirable fouillis de traditions et de légendes, rattachées aux noms familiers des maisons parentes ou amies ; on y retrouvait ceux qui donnèrent les plus beaux coups d’épée, parmi les aïeux, celles qui furent les plus aimées parmi les aïeules, et qui en souffrirent, enfermées dans des tours ou châtiées par des tyrans jaloux. Il y avait surtout des images délectables, ces lithographies à la manière anglaise, en honneur sous Louis-Philippe, qui étaient aux arts du dessin ce que le genre troubadour fut à la littérature. Nobles crayons, dédaigneux du réel, où la plus humble masure et le plus sordide chevrier s’idéalisaient dans un romantisme effréné ; crayons infiniment sages, puisqu’ils montraient à l’enfant le seul monde vrai pour lui, un monde merveilleux et conforme à ses rêves. J’entends que le grand souci de nos jours est d’inculquer aux mioches des notions exactes sur toute chose ; je ne sais ce qu’il faut le plus admirer dans cette doctrine, la cruauté irréfléchie qu’elle implique ou l’ignorance de la psychologie enfantine qu’elle dénote. Nous passons notre vie à descendre notre échelle de Jacob : pourquoi renverser la marche naturelle, et faire gravir d’abord les durs échelons d’en bas à ceux qui arrivent d’en haut ?

Le lac d’Issarlès, le pont d’Arc, les grottes de Saint-Marcel, la Gueule d’Enfer ! Avec quelle intensité de désir j’ai souhaité voir ces lieux, si beaux sur les dessins de l’Album, embellis encore de tout ce que l’enfant, sous la lampe du soir ajoute à l’image d’où se lève le songe qui va continuer dans son sommeil ! Il ne me fut jamais donné de réaliser ce désir ; les communications étaient