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rares et difficiles, à cette époque, entre le haut et le bas Vivarais ; une barrière d’âpres montagnes nous séparait des terres du Midi, elle reculait ces terres promises de l’Album presque aussi loin dans l’impossible que les Syries et les Égyptes de la Bible de Royaumont. Puis, la vie me chassa devant elle. Le monde déroula sous mes regards des horizons plus fameux ; ces spectacles n’oblitéraient pas les anciennes images, qui tenaient bon et travaillaient en dessous, toutes fraîches dans la clarté d’aube où elles étaient restées. Et jamais le loisir ou l’occasion ne s’offraient d’aller en vérifier la ressemblance. Enfin, l’été dernier, je m’ordonnai les eaux de Vals, non sans ressentir un peu de cette angoisse secrète qui précède toute possession, — autant dire toute désillusion. J’y reviens cette année, j’ai vu et revu tous les sites décrits par le bon Albert du Boys. Eh bien, la part faite à l’inévitable déchet du réel, ni lui, ni son illustrateur, ni mon prisme enfantin n’avaient trop exagéré. Il y a des régions plus majestueuses dans notre France ; il n’y en a pas, à ma connaissance, de plus originale et surtout de plus contrastée, où l’on puisse comme ici passer en quelques heures de la nature alpestre à la nature italienne ; il n’y en a pas où l’histoire de la terre et des hommes soit écrite sur le sol en caractères aussi clairs, aussi vivans. Ajouterai-je qu’il n’en est point de plus ignorée et où l’on ait davantage le plaisir de la découverte ? Depuis que nos alpinistes et nos romanciers ont déniché les causses du Tarn, sur l’autre versant des Cévennes, le massif vivarois est la dernière citadelle encore détendue contre l’alpenstok et contre la plume du « vulgarisateur. » Au cours des années récentes, les voies ferrées ont commencé de mordre sur les vallées basses qui descendent au Rhône ; le labyrinthe central leur résiste ; dans les vénérables pataches qui en gravissent les lacets, on ne vit jamais un Anglais, et le Parisien y est encore un animal rare, dévisagé avec une juste défiance.

Ce petit pays est si peu connu qu’il ne sera pas inutile de le situer exactement dans l’esprit du lecteur. Le Vivarais, qui tirait son nom de Viviers, sa ville épiscopale, forme aujourd’hui le département de l’Ardèche. Entre le bassin industriel de la Loire, au nord, et les plaines du Gard, au midi, cette pelote de montagnes volcaniques se dresse en face du Dauphiné ; ses pentes abruptes dévalent de fa crête supérieure des Cévennes au lit du Rhône. Tandis que le versant occidental de la chaîne de partage s’abaisse vers l’océan par une pente insensible, avec les larges plateaux et les croupes de la Lozère, le versant oriental s’écroule brusquement dans la vallée du grand fleuve méditerranéen. Placé à la corne septentrionale du Languedoc comme un bastion qui