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Cette année, mon ami le curé des Oubrets m’a engagé à monter avec lui au Signal Sainte-Marguerite, le jour où les habitans des hameaux voisins se rendent en pèlerinage à la chapelle qui couronne le sommet. C’était le 1er septembre, anniversaire de Sedan. Les montagnards gravissaient par bandes les sentiers pierreux, avec leurs femmes et leurs enfans ; ils se groupaient là-haut autour des feux de genêts, en des campemens pittoresques. Nous en trouvâmes plusieurs centaines, beaucoup plus que ne pouvait contenir le très pauvre oratoire. Aucun ornement sur ces quatre murs nus : mais la porte grande ouverte y mettait une rosace magnifique, où s’encadraient au soleil levant les cimes du mont Ventoux et des Alpes dauphinoises. Le flot des nouveaux arrivans, poussant les premiers venus, pressait l’officiant contre l’autel ; il pouvait à peine faire en liberté les gestes liturgiques. Au dedans, au dehors de la chapelle, les visages étaient abîmés de ferveur. J’entendis que l’Évangile du jour se référait au début du Sermon sur la montagne. Le curé des Oubrets dit à ces pauvres gens les paroles de pitié pour la foule et la béatitude de ceux qui pleurent. L’office terminé, ils entonnèrent le Magnificat ; ils chantaient très doucement les versets terribles : « Il a déposé les puissans, il a exalté les humbles ; il a comblé de biens les affamés, il a renvoyé riches à jeun… » Les pèlerins se dispersèrent en entonnant l’Avé Maris Stella, qui s’égrena avec leurs petits groupes sur toutes les pentes du signal. Je laissai le prêtre-soldat au sort qu’il a choisi ; tant que ses forces ne le trahiront pas, les longs hivers des Cévennes le trouveront arpentant les sentes de neige, portant à toute heure le viatique aux fermes lointaines qui forment sa paroisse ; il vivra de privations dans ce rigoureux isolement, consacrant au soutien de son école libre la meilleure part de ses émolumens ; émolumens si dérisoires, que le dernier ouvrier de nos villes refuserait de travailler pour un salaire réduit à ce taux. Et je pensais en descendant que, si ces gens-là n’existaient pas, celui qui les inventerait ferait preuve de quelque génie. Les tracasser, les mettre en quarantaine comme un danger public, c’est montrer autre chose que du génie ; en français plus élémentaire, c’est idiot.

Quand on dit ici « la montagne, » il est rare qu’on entende par ce mot la région moyenne où je retiens le lecteur, parce qu’elle est la plus caractéristique. La vraie montagne, pour le Vivarois, ce sont les hauts plateaux qu’on aborde en atteignant par le sud crête du Coiron, et qui s’étendent vers le Velay, au-dessus d 1,000 mètres, sur les bords de la Loire naissante. La zone des pâturages, des hêtraies et des sapinières, y succède à la zone des châtaigneraies. L’air y est très vif, même au cœur de l’été. Ce que doit être l’hiver, on le voit assez par les lourdes plaques de lave