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c’est puissant et hardi, les profils sont francs, les arêtes accusées ; ce torrent de feu solidifié donne encore l’impression du jaillissement, et de l’impétuosité.

On descend en quelques heures du Mézenc dans la profonde cheminée de volcan où se cache le lac d’Issarlès. À 1,000 mètres d’altitude, la vasque régulière se creuse sur un pourtour de 5 kilomètres ; les eaux ont par endroits 130 mètres de fond, et on m leur connaît pas de déversoir. L’Album ne l’avait pas surfaite, cette nappe de saphir dans un écrin de forêts ! Des hautes parois de l’entonnoir, l’épais manteau de sapins se déroule jusqu’à la berge, jetant sur les flots un voile d’ombre immobile. Je ne sais pas de lieu plus chastement élyséen, plus charmant et plus solitaire. Son charme est fait surtout de sa solitude. On le découvre à grand’peine. Je n’y ai trouvé d’autres êtres vivans qu’un vieux garde, qui rabotait des sabots dans un atelier de troglodyte, une excavation de rocher où il a élu domicile ; quelques vols de canards sauvages, et des truites qui deviennent énormes, mais ne se reproduisent pas dans ces eaux calmes et froides. Sauf la différence des végétations, le lac d’Issarlès rappelle très exactement celui de Némi : même coupe, de mêmes dimensions, au fond du même puits volcanique. Il y a trois mois, assis près de Genzano sur les colonnes brisées du temple de Diane, je regardais Némi sous ses amandiers en fleurs. Mais là-bas, les touristes ont effarouché Diane. Elle a dû se réfugier ici, dans son autre domaine mieux préservé. Si ridicule que soit aujourd’hui la mythologie, j’ai compris un instant le sentiment des anciens, en voyant le fin croissant glisser hors des sapins et guetter la chute du jour pour se mirer dans le bain d’eau vierge. La clarté pensive mettait seule une existence, et parfaitement harmonique avec le site, en ce vide absolu de bruit, de vie, de mouvement. Et dire que des projets de chemin de fer menacent d’amener la locomotive aux environs ! On ne devrait permettre l’approche d’Issarlès qu’aux ombres de Virgile et de Shelley. Qu’il demeure ignoré, puisqu’il n’a jamais reflété ce qui fait les lacs fameux et immortels : un visage de femme, contemplé quelques instans par un de ceux qui savent les paroles avec lesquelles on remue éternellement les cœurs. Faute d’un soupir de bonheur et de souffrance, les douces syllabes du nom d’Issarlès frapperont vainement l’oreille des hommes, sans y laisser plus d’écho que le vol des oiseaux sauvages n’en laisse sur ces eaux qu’il frôle.

En regagnant le bas pays par le Val de Loire, on traverse les forêts de Bauzon et de Mazan, où la framboise et l’airelle mûrissent sous des sapins d’une venue superbe. Un léger détour conduit à