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l’abbaye de Mazan. Ici comme partout, les moines furent défricheurs de forêts et seigneurs des montagnes. Ils firent de grands établissemens dans ces retraites silencieuses, à la Chartreuse de Bonnefoy, cachée sous le pied du Mézenc, à la Trappe de Notre-Dame des Neiges, à la Villedieu, à Mazan. Cette vieille maison de Cîteaux, fondée au XIIe siècle, fut détruite une première fois par les routiers anglais en 1375, une seconde par le vandalisme des habitans, il y a quarante ans. Les vieillards ont vu l’église encore intacte. Par la beauté des proportions et de l’appareil, par l’assemblage d’élémens peu habitués à se rencontrer, ce monument était précieux pour l’étude de l’architecture dans nos contrées. La voûte en berceau de la nef romane s’appuie sur des collatéraux coupés par des arcs ogivaux, qui reposent sur de légers pilastres arrêtés aux deux tiers de leur portée. La coupole, au centre d’une croix très régulière, supporte un tambour à huit pans. Au lieu d’approprier l’édifice aux besoins du culte paroissial, l’ancien curé eut la barbarie d’en piller les matériaux pour construire plus loin une méchante bâtisse ; les paysans ont suivi l’exemple. Une masure s’accote contre la fine rosace, un forgeron a installé ses soufflets et son enclume dans le chœur. Les crevasses béantes de la voûte et des bas-côtés ne sont plus rapiécées que par des morceaux de ciel bleu ; quelques années encore, et il ne restera rien de l’église de Mazan. Pourtant elle est classée, me dit-on, comme monument historique ; il faut croire que cette protection officielle n’est une sauvegarde efficace que pour les joyaux moins éloignés des regards de la commission.

À quelques lieues de Mazan, le voyageur peut aller coucher sans crainte à l’auberge de Peyrebeille, de sinistre mémoire. Les personnes d’âge qui ont lu l’Ossuaire, du vicomte d’Arlincourt, savent comment les époux Martin, dits Leblanc, aidés par leur domestique Rochette, égorgèrent et détroussèrent impunément leurs cliens pendant vingt-cinq ans. Ces aubergistes romantiques furent enfin exécutés devant leur porte, le 2 octobre 1833, de la façon la plus solennelle, par M. Roch le père, bourreau de Monde, assisté de son fils, le bourreau national que nous avons connu. Il en résulta d’innombrables drames pour les théâtres du boulevard et l’œuvre littéraire que j’ai citée plus haut.

Par Thueyts ou par Montpezat, de belles routes en lacets ramènent rapidement dans les vallées inférieures. C’est une joie de retrouver le châtaignier, puis le mûrier, et enfin le poteau du télégraphe, autre arbre auquel il faut dire adieu, ainsi qu’à la poste, lorsqu’on passe de la zone tiède dans la haute montagne. C’est un enchantement, quand on s’est chauffé le matin sous le