Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La chimie de l’alimentation, féconde en ressources et en fraudes, était dès lors mise en œuvre. On savait accomplir à volonté ces fermentations délicates qui produisent le pain, le vin, la bière et qui modifient un grand nombre d’alimens ; on savait aussi, comme de nos jours, falsifier le vin par l’addition du plâtre et d’autres ingrédiens. L’art de guérir, cherchant partout des ressources contre les maladies, avait appris à transformer et à fabriquer un grand nombre de produits minéraux et végétaux, tels que le suc du pavot, les extraits des solanées, l’oxyde de cuivre, le verdet, la litharge, la céruse, les sulfures d’arsenic et l’acide arsénieux : remèdes et poisons étaient composés à la fois, dans des desseins divers, par les médecins et par les magiciens.

Enfin, la fabrication des armes et celle des substances incendiaires : pétrole, soufre, résines et bitumes, avaient déjà, autrefois comme de notre temps, sollicité l’esprit des inventeurs et donné lieu à des applications redoutables, dans l’art des sièges spécialement et dans celui des combats marins ; précédant l’invention du feu grégeois, précurseur lui-même de la poudre à canon et de nos terribles matières explosives.

On voit par ce tableau rapide combien le monde romain était déjà avancé dans la connaissance des industries chimiques, au moment où il s’écroula sous les coups des Barbares. Mais la ruine de l’organisation antique eut lieu par degrés ; si la haute culture scientifique, peu accessible à des esprits grossiers, cessa d’être encouragée et fut à peu près abandonnée ; si les philosophes grecs, ballottés entre la persécution religieuse des empereurs byzantins et le dédain indifférent des souverains persans, ne formèrent plus d’élèves ; si les grands noms de la physique, de la mathématique, de l’alchimie grecque ne passent guère le temps de Justinien ; cependant, il est certain que la nécessité des professions indispensables à la vie humaine, ou recherchées par le luxe des souverains et des prêtres, a dû maintenir et a maintenu effectivement la plupart des industries chimiques.

À l’appui de ces raisonnemens, on peut apporter des preuves de divers ordres. Les unes sont tirées de l’examen des monumens, armes, poteries et verreries, étoffes, gemmes et bijoux, objets d’art de toute nature, qui sont parvenus jusqu’à nous. Cet examen fournit, en effet, des résultats incontestables, pourvu que la date des objets soit certaine et qu’ils n’aient subi aucune restauration. Sous ce dernier rapport, on ne saurait montrer trop de prudence et même de défiance, quand on examine soit les édifices, soit les objets conservés dans les musées. Non-seulement ces objets ont été sujets à bien des falsifications ; mais les plus authentiques ont été très souvent restaurés, sans aucune mauvaise intention, d’ailleurs. Celui qui