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j’ai fait également la publication de ces derniers, en en montrant à la fois la signification matérielle et positive et les prétentions théoriques et philosophiques. Par ces études j’ai reconstitué toute une science, l’alchimie antique, jusque-là méconnue et incomprise, parce qu’elle était fondée sur un mélange de faits réels, de vues profondes sur l’unité de la matière, et d’imaginations religieuses chimériques.

Ces pratiques et ces théories avaient une portée plus grande encore que le travail des métaux. En effet, les industries des métaux précieux étaient liées à cette époque avec celles de la teinture des étoffes, de la coloration des verres et de l’imitation des pierres précieuses, toutes guidées par les mêmes idées tinctoriales et mises en œuvre par les mêmes opérateurs.

Ainsi, l’alchimie et l’espérance chimérique de faire de l’or sont nées des artifices des orfèvres pour colorer les métaux ; les prétendus procédés de transmutation, qui ont eu cours pendant tout le moyen âge, n’étaient, à l’origine, que des tours de main pour préparer des alliages à bas titre, c’est-à-dire pour imiter et falsifier les métaux précieux. Mais, par une attraction presque invincible, les opérateurs livrés à ces pratiques ne tardèrent pas à s’imaginer que l’on pouvait passer de l’imitation de l’or à sa formation effective, surtout avec le concours des puissances surnaturelles, évoquées par des formules magiques.

Quoi qu’il en soit, on n’a pas bien su jusqu’ici comment ces pratiques et ces théories ont passé de l’Egypte, où elles florissaient vers la fin de l’empire romain, jusqu’à notre Occident, où nous les retrouvons en plein développement, à partir des XIIIe et XIVe siècles, dans les écrits des alchimistes latins et dans les laboratoires des orfèvres, des teinturiers et des fabricans de vitraux colorés. En général, on a attribué leur renaissance aux traductions d’ouvrages arabes, faites à cette époque. Mais, sans prétendre nier le rôle exercé par les livres arabes sur la renaissance des arts et des sciences en Occident, à l’époque des croisades, il n’en est pas moins certain qu’une tradition continue a subsisté dans les souvenirs professionnels des arts et métiers depuis l’empire romain jusqu’à la période carlovingienne, et au-delà : tradition de manipulations chimiques et d’idées scientifiques et mystiques. En effet, en poursuivant mes études sur l’histoire de la science, j’ai rencontré, dans l’examen des ouvrages latins du moyen âge, certains manuels techniques qui se rattachent de la façon la plus directe aux traités métallurgiques des alchimistes et orfèvres gréco-égyptiens. Je me propose d’établir ici cette corrélation, que personne n’avait signalée jusqu’à présent.

On sait que les règles et les recettes de thérapeutique et de