Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du verre malléable : ces contes couraient le monde au XIIe siècle et ils figurent aussi dans Jean de Salisbury. En tout cas, les sujets principaux, traités dans l’ouvrage d’Éraclius, existent déjà dans la « Clé de la peinture. »

Le Tableau des divers arts, du moine Théophile, paraît dû à un moine bénédictin pseudonyme, nommé, en réalité Roger, qui vivait à la fin du XIe siècle et au commencement du XIIe. Cet ouvrage est plus exact et plus détaillé que celui d’Éraclius. Il se compose de deux livres, le premier consacré à la peinture ; c’est toujours le même programme, commun à tous les manuels destinés aux peintres, mais avec plus de détails. Le second livre concerne la confection des objets nécessaires au culte et à la construction des édifices qui lui sont consacrés. Il décrit en détail le fourneau pour fondre le verre et la fabrication de ce dernier, celle des verres peints et des vases de terre colorés, le travail du fer, la fusion de l’or et de l’argent et leur travail, celui de l’émail, qu’il appelle electrum, nom donné autrefois à un alliage d’or et d’argent ; la fabrication des vases destinés au culte, calice, ostensoir, etc. ; les orgues, les cloches, les cymbales, etc. Ces renseignemens sont curieux ; car ils montrent que l’industrie du verre et des métaux avait fini par se concentrer autour des édifices religieux. Mais la technique chimique de Théophile est la même que celle des traités précédens, quoique se rattachant à une période plus moderne : elle nous amène directement aux XIIIe et XIVe siècles, époque à partir de laquelle les monumens et les écrits se multiplient de plus en plus jusqu’aux temps modernes. La filiation des traditions techniques depuis l’antiquité devient de moins en moins manifeste, à mesure que les intermédiaires se multiplient et que les arts tendent à reprendre un caractère original.

L’ensemble des faits que je viens d’exposer mérite d’attirer notre attention, au point de vue de la suite et de la renaissance des traditions scientifiques. En effet, c’est par la pratique que les sciences débutent ; il s’agit d’abord de satisfaire aux nécessités de la vie et aux besoins artistiques, qui s’éveillent de si bonne heure dans les races civilisables. Mais cette pratique même suscite aussitôt des idées plus générales, lesquelles ont apparu d’abord dans l’humanité sous la forme mystique. Chez les Égyptiens et les Babyloniens, les mêmes personnages étaient à la fois prêtres et savans. Aussi les premières industries chimiques ont-elles été exercées d’abord autour des temples ; le Livre du Sanctuaire le Livre d’Hermès, le Livre de Chymès, toutes dénominations synonymes, chez les alchimistes gréco-égyptiens, représentent les premiers manuels de ces industries. Ce sont les Grecs, comme dans toutes les autres branches scientifiques, qui ont donné à ces traités une rédaction dégagée des