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nombre d’observations recueillies par des auteurs curieux de psychologie, qui ne se contenteraient pas d’écrire des listes de couleur sous la dictée de leurs sujets. Il est évident que le fait d’établir des associations tenaces entre des impressions qui n’ont rien de commun est le signe d’une certaine forme intellectuelle, qui n’est point celle de tout le monde. Pour notre part, nous attachons une certaine importance à la qualité des images évoquées ; elles sont de nature visuelle, ce qui semble indiquer qu’il existe dans l’audition colorée une poussée intense des images visuelles et une tendance à penser, comme à sentir, avec ces images ; en un mot, nous faisons l’hypothèse que ceux qui ont de l’audition colorée appartiennent à la catégorie des visuels.

Le sens de ces mots n’a plus besoin d’être expliqué : tout le monde sait aujourd’hui comment, dans ces dernières années, M. Charcot, et à sa suite beaucoup de psychologues, ont été amenés à distinguer plusieurs mémoires, la visuelle, l’auditive, la motrice, etc., qui peuvent présenter chez un même individu des inégalités si grandes de développement que telle personne accomplira avec la seule mémoire auditive, par exemple, une opération qu’une autre personne exécute avec la seule mémoire visuelle. On se souvient encore, certainement, du cas si intéressant de M. Inaudi, ce calculateur-prodige qui fait de tête des opérations énormes avec des images auditives, c’est-à-dire en se répétant les nombres à voix basse, tandis que la majorité de ceux qui calculent de tête voient les chiffres comme s’ils étaient écrits à la craie sur un tableau noir fictif.

M. Inaudi nous a permis d’étudier la mémoire auditive. L’audition colorée nous permettra peut-être d’étudier la mémoire visuelle. C’est là le lien qui rattache les unes aux autres nos études successives et leur donne une sorte d’unité. Nous cherchons, à propos des problèmes les plus divers, à exposer et à faire bien comprendre la théorie moderne des images mentales et des types de mémoire. Seulement, il n’est pas absolument certain que l’audition colorée concorde toujours avec le type de la mémoire visuelle et qu’il y ait entre les deux choses une relation causale. Ce n’est encore qu’une hypothèse, nous allons dire pour quels motifs nous la proposons.

Le premier de ces motifs, c’est le témoignage des sujets que nous avons eu l’occasion d’interroger ; nous les avons interrogés d’un ton indifférent, sans chercher à leur dicter leurs réponses ; et ils ont tous remarqué que les couleurs et les formes sont les choses dont ils se souviennent le plus facilement. Peut-être ce témoignage paraîtra-t-il de mince valeur ; on peut se demander si