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une personne a qualité pour déterminer son type de mémoire ; nos lecteurs qui voudront bien faire leur examen de conscience auront sans doute beaucoup de peine à savoir s’ils se souviennent avec des images visuelles ou avec des images auditives. Cette indécision provient précisément de ce que la majorité des individus se rattache au type indifférent et bien pondéré qui se sert en proportions égales de toutes les mémoires. Ceux qui ont de l’audition colorée n’éprouvent pas la même difficulté à s’expliquer. Une jeune fille, à qui je fais ma demande par écrit, pour éviter les suggestions inconscientes de l’accent, m’envoie la réponse suivante : — « Vous me demandez si je me rappelle mieux les choses vues ou les choses entendues ; ce sont les choses vues ; quand je me souviens d’une conversation, ce sont les gestes, les attitudes des personnages qui me rappellent ce qui a été dit. Des tableaux successifs se présentent devant mes yeux, et ces tableaux m’aident à me rappeler ce que j’ai entendu. » — C’est bien là le type visuel. En outre, pour la détermination du type, il faut tenir compte du goût des personnes, de leurs aptitudes, de leurs occupations favorites. La plupart de ceux que j’ai vus font de la peinture ou de l’aquarelle, quelques-uns sont peintres de profession ; d’autres ont été entraînés par les circonstances dans des carrières différentes : l’un est médecin, l’autre avocat, un troisième est professeur de lettres ; mais presque tous aiment la couleur et la nature et se passionnent pour les belles teintes. Remarquons aussi leur langage ; quand ils décrivent leur état mental, ils ont une abondance merveilleuse d’expressions imagées. M. Galton en a fait la remarque, et elle est très juste ; peu de personnes, parmi celles qui ont de l’audition colorée, se contentent de nommer laconiquement la couleur des voyelles ; elles précisent la nuance, même s’il s’agit de la couleur blanche, qui semble si simple comme sensation et si facile à définir sans épithète ; on ne dira pas : « o est blanc, » mais bien « o est d’une nuance de blanc, la couleur de la peluche blanche, la couleur du dessous d’un beau et frais champignon blanc. » Un autre dira : « Blanc laiteux avec idée d’un liquide épais, comme de la crème ; » un autre : « teinte blanc de lait mélangé d’un peu de jaune, » et une foule de comparaisons analogues : blanc d’argent, blanc de chaux, etc. L’emploi de ces expressions nous renseigne sur le sens chromatique de ces personnes : ce sont des coloristes, n’en doutons pas ; nous qui avons l’imagination terne, nous avons à notre disposition les mêmes mots qu’eux ; mais nous ne pouvons pas tirer de ces mots les mêmes effets. Les mots sont comme les couleurs dont on se sert pour peindre. Donnez deux palettes identiques à deux