Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/647

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rondeur. Elle ne peut s’habituer dans les villes à l’état épouvantable des rues où les piétons et les voitures courent un danger égal au milieu de véritables fondrières, elle ne tarit pas en invectives contre la chaleur de fournaise des wagons de chemin de fer et des chambres d’hôtel, les odieux crachoirs, l’eau glacée servie en toute occasion, même à jeun avec une orange. L’orthographe et la prononciation américaines l’horripilent ; son oreille ne peut se faire au twang, au nasillement de l’Ouest, à la manière qu’on a en ces parages de poser tout le dîner à la fois, entrées, rôt, légumes, poisson, entremets, dans des soucoupes rangées en demi-cercle autour du consommateur, et elle a vite démasqué le subterfuge des hommes qui, en affectant de ne boire à table que du thé ou l’éternelle eau glacée, se dédommagent du matin au soir dans la salle publique où est situé le bar. Mrs Frampton est impitoyable et sa langue acérée s’exerce sans cesse ; mais, comme l’auteur souligne en même temps chez elle un certain manque d’ouverture, d’adaptabilité aux circonstances, un attachement bien britannique à la coutume, ces boutades passent sans choquer personne ; on est quitte pour proclamer leur exagération. Sans doute, elle ose porter un arrêt rigoureux contre l’eau glacée qui suffit peut-être à expliquer l’abus de l’or dans la façade dentaire de tant de bouches américaines ; mais nous sommes avertis que la bonne dame se laisserait mourir de soif, par crainte des microbes, plutôt que de boire un verre d’eau à la source duquel il lui serait impossible de remonter. La critique est sans conséquence.

Ainsi de suite. Grâce à la légèreté de touche de M. Aïdé, grâce à l’art infini des nuances et des demi-teintes qui distingue son talent, j’ai entendu peu d’Américains contredire les jugemens qu’il porte dans A Voyage of discovery ; encore n’est-ce que sur des points insignifians : il aurait, par exemple, poussé jusqu’à la caricature l’extrême grossièreté des servantes irlandaises auxquelles on est réduit dans les intérieurs de condition moyenne ; avec les défauts de leur race, elles ont aussi ses qualités, quoi qu’il en dise, une puissance d’assimilation qui permet de les former assez vite. Peut-être aussi a-t-il trop insisté sur la volubilité presque étourdissante du grand prédicateur bostonien qu’il appelle Samuel Sparks et qui est en réalité Phillip Brooks. Il traite un peu durement M. Ward Mac-Allister, déguisé sous l’ironique sobriquet de Golightly (N’appuyez pas), l’auteur d’une espèce de code des bonnes manières où les bévues abondent. Mais ces plaintes de quelques-uns n’ont rien de très amer ; M. Aïdé a conquis la reconnaissance d’un grand nombre par sa courtoisie envers la jeune fille