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américaine, si souvent attaquée en Europe, et même dans son propre pays, — par le soin qu’il a mis à éviter de peindre une désagréable catégorie de gens sans éducation et sans manières, qui fournissent des types prétendus yankees à la littérature courante. On est bien aise, là-bas, qu’un Anglais ait dit, à propos des bonnes mœurs américaines, qu’en Angleterre rien ne ferme les portes de la société à une femme ou à un homme du grand monde, sauf le divorce pour l’une, et pour l’autre le fait d’avoir triché au jeu. On sent qu’il n’a aucune intention hostile, aucune arrière-pensée désobligeante, en présentant les uns aux autres, avec leurs qualités et leurs travers, frère Jonathan et ses cousins d’Europe. Telle ou telle phrase courtoise, jetée à propos, arrête les susceptibilités prêtes à s’éveiller, par exemple, la remarque très juste que les types les meilleurs et les plus distingués en Amérique sont ceux que l’étranger ne voit pas toujours, parce qu’ils ne se poussent pas en avant. D’ailleurs, sir Mordaunt et Mrs Frampton sont posés en conservateurs, en réactionnaires ; il est naturel que ceux-là prennent le ton qu’affectent les gens d’expérience pour juger les incartades de la jeunesse. Si parfois le nouveau les effraie, ils sont forcés très souvent d’admirer bien des choses qui leur étaient inconnues, et c’est la revanche de la grande république.

Le monde proprement dit, et les journaux modérés qui lui servent d’interprète, ont donc accueilli sans colère ce Voyage de découvertes, qui s’est borné en somme à une partie restreinte de l’immense continent : il n’y a que New-York et Boston qui soient étudiés à fond, avec un respect évident pour celles des célébrités de ces deux grands centres dont les noms ont retenti glorieusement jusqu’en Europe, avec une suffisante sympathie pour la société proprement dite, avec un agréable parti-pris surtout de laisser de côté les questions politiques. Tous les points scabreux sont esquivés ; le baronet anglais est sincèrement amoureux de l’héritière miss Planter, qui de son côté ne subit pas, en s’attachant à lui, le vulgaire ascendant de la vanité ; l’Anglaise de grande maison a, pour rester insensible aux mérites respectifs du professeur Barham et du publiciste Ferrars, l’excellente excuse d’une affaire de cœur, dès longtemps engagée dans son propre pays. — Seuls, une certaine presse médiocre et le commun des interviewers, auquel appartient cette abominable Clutch qui punit miss Ballinger, en l’insultant, du silence qu’elle oppose à ses questions saugrenues, seul, ce qui vaut le moins dans le journalisme a pu garder rancune au dénonciateur de la plate réclame et de la diffamation odieuse.

Nous partageons d’ailleurs l’opinion des critiques qui placent