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et de domicile. Ou bien encore le comédien signe sa renonciation, mais une fois l’autorisation accordée, le mariage célébré, les premiers gentilshommes de la chambre lui envoient un ordre de remonter sur les planches, et il s’empresse d’obéir ; de même si le malade revient à la santé ; mais l’Église se lassa d’être ainsi bernée et finit par exiger une promesse signée des quatre premiers gentilshommes de la chambre. Le Kain va tous les ans à Avignon, territoire qui dépendait du saint-siège, et y fait ses pâques.

Si du moins de telles sévérités eussent revêtu un caractère universel, leur intolérance eût semblé moins choquante ; mais sorties des doctrines mêmes de l’Église gallicane, elles n’étaient ni générales ni absolues. Certains rituels se contentent de ranger au nombre des pécheurs publics les acteurs, d’autres se conforment au rituel romain, et, par une anomalie vraiment extraordinaire, les comédiens italiens, les chanteurs et danseurs de l’Opéra échappent aux anathèmes du clergé. Bien que leurs pièces fussent très licencieuses et ordurières, on se garde bien de retrancher de la communion des fidèles les Italiens ; ils entrent dans la confrérie du Saint-Sacrement, tiennent les cordons du dais à la procession, font relâche le vendredi, affichent une dévotion rigide ; Arlequin épouse solennellement Mme Arlequin, et Scaramouche mourant laisse cent mille écus à son fils qui était prêtre ; en 1768, ils obtiennent que la procession passera devant leur théâtre richement tendu. Malgré leur qualité de Français, M. et Mme Laruette se marient sans la moindre difficulté à l’église de leur paroisse, parce qu’ils appartiennent à la troupe des Italiens. C’est la royauté qui se charge de les renvoyer en Italie et de fermer leur théâtre, quand ils ont dépassé la mesure de l’obscénité permise, ou bien encore parce qu’ils jouent une pièce intitulée la Fausse Prude, titre d’un roman satirique, publiée en Hollande contre Mme de Maintenon. Mais bientôt une nouvelle troupe venait prendre la place de l’ancienne à l’Hôtel de Bourgogne.

Rien de semblable non plus en Angleterre, en Espagne : en Italie maint théâtre porte le nom d’un saint. À Borne même, les papes protègent les spectacles que fréquentent sans scrupules les ministres de Dieu ; une femme jeune et belle quête pendant les entr’actes pour le luminaire de la paroisse, et plus tard le président de Brosses assistera à une scène bien curieuse au théâtre de Vérone[1] : « Une cloche de la ville ayant sonné un coup, j’entendis derrière moi un mouvement subit tel que je crus que l’amphithéâtre venait en ruine, d’autant mieux que, en même temps, je vis fuir les

  1. En province, écrit un anonyme, on mène les reines de théâtre au cabaret ; à Paris, on les respecte quand elles sont belles, et on les jette à la voirie quand elles sont mortes.