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où, par exemple, ils montrent Jansénius chargé de fers, traîné en triomphe par la grâce suffisante ; les écrits de Nicole et du prince de Conti contre les poètes de théâtre, « empoisonneurs publics, non des corps, mais des âmes ; » Bourdaloue, Massillon, Fléchier, dénoncent en chaire Molière, son Tartufe, réveillent les préventions du clergé, Bossuet invoque les pères de l’église, condamne avec sévérité l’art dramatique, ses interprètes, somme de se rétracter le théatin Caffaro, qui s’était indigné qu’on appliquât aux tragédies de Corneille et de Racine les anathèmes des conciles contre les gladiateurs et les histrions. Plus logique que d’autres, le grand évêque ne se contente pas de proscrire les comédiens, il exige du présidial, à Meaux, que l’on interdise les marionnettes : et de constater avec La Bruyère qu’on pense comme les Romains sur les acteurs, qu’on vit avec eux comme les Grecs, cette idée l’afflige à ce point qu’il ne craint pas d’avancer que l’Église excommunierait tous les chrétiens qui viennent applaudir des excommuniés, si le nombre en était moins grand.

Louis XIV ne devait pas rester insensible à l’effet de cette croisade ; à mesure qu’il vieillit et tombe dans la dévotion, il retire sa protection aux comédiens, institue la censure, confie au lieutenant de police la police des théâtres ; ceux-ci sont fermés pendant la quinzaine de Pâques. La Sorbonne, les curés de Saint-Germain-l’Auxerrois, de Saint-André, de Saint-Eustache repoussent comme une lèpre le voisinage de la Comédie, forcée d’abandonner successivement plusieurs salles jusqu’à ce qu’elle ait trouvé un asile rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés, sur le territoire de la paroisse Saint-Sulpice. Enfin les antiques châtimens des conciles sont remis en vigueur, lus au prône chaque dimanche dans toutes les églises de Paris : on refuse aux comédiens tous les sacremens, ils ne sont plus acceptés comme parrain ou marraine, s’ils ne remettent à leur confesseur une renonciation écrite, et quelquefois par-devant notaire, à leur profession. Brécourt, Raisin, Rosimont, la Champmeslé, font l’épreuve de ces rigueurs dont Louis XIV avait eu quelque peine à garantir Molière lui-même ; il dut en effet donner des ordres à Harlay de Champvallon, archevêque de Paris, le prélat libertin qui, mourant plus tard d’une attaque d’apoplexie, en la compagnie de Mme de Lesdiguières, inspirait cette réflexion à Mme de Sévigné : « Il s’agit maintenant de trouver quelqu’un qui se charge de l’oraison funèbre du mort. On prétend qu’il n’y a que deux petites difficultés qui rendent cet ouvrage difficile, c’est la vie et la mort. »

Pour tourner la difficulté et arriver au mariage, on recourait à divers subterfuges : Molé parvient à faire signer une permission par l’archevêque, sans qu’il s’en doute ; d’autres changent de nom