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discours au congrès et de les envoyer gratuitement à leurs électeurs. À les en croire, la diffusion de leur parole est indispensable au succès de la cause commune. D’autre part, l’heure serait mal choisie pour indisposer, par un refus, des hommes influens dans leurs états et sur le concours desquels on fait fond. Les vanités blessées ne pardonnent pas ; aussi, pendant les quelques semaines que dure la lutte présidentielle, est-ce par énormes ballots que l’on expédie, sur tous les points de l’Union, la prose des membres, du congrès. Le nombre de ces ballots s’accroît encore quand il s’agit des élections au sénat et à la chambre des représentans, et le montant des frais de transport s’élève alors brusquement d’un à deux millions de francs. Il ne sera pas moindre pour la campagne en cours. Le parti démocratique se propose en effet de répandre, par millions d’exemplaires, une série de brochures extraites d’un livre en préparation écrit par M. Josiah Quincy, l’un des hommes littéraires en vue de l’Union ; sa plume incisive et vigoureuse se prête merveilleusement à ce genre de pamphlets politiques, dont on semble attendre d’importans résultats.


III

Ce n’est pas sans une sérieuse et légitime appréhension que, depuis un quart de siècle, la partie industrielle et commerçante de la population des États-Unis voit s’ouvrir tous les quatre ans une campagne présidentielle et surgir une crise politique. Ces appréhensions s’accroissent en raison directe de l’importance des questions soulevées, de la durée de la campagne qui absorbe virtuellement près de six mois, de l’influence désastreuse qu’elle exerce sur le commerce et l’industrie, ainsi que sur les transactions de toute nature. À mesure que le pays se peuple et s’enrichit, qu’il se développe et grandit, le nombre des fonctions rétribuées s’accroît et, avec lui, l’importance du butin à se partager. L’armée des politiciens grossit démesurément et le niveau moral baisse. La politique devient une industrie, et la corruption s’étend.

Mais, surtout, les intérêts matériels souffrent et, sur ce point, le Yankee n’entend pas raillerie. Il n’est pas homme à récriminer contre les pertes qu’il subit du fait de ses spéculations. Prêt à beaucoup risquer pour beaucoup gagner, il est résigné à se ruiner, quitte à recommencer. Il est joueur, et gros joueur, par tempérament, mais il n’entend pas que la politique brouille systématiquement les cartes et introduise, dans ses combinaisons, un aléa sans compensation. Un temps d’arrêt régulier, à date fixe, dans toutes les branches de l’industrie, n’est pas pour lui plaire et, comme il aime à comprendre et excelle à chiffrer, il a voulu se