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jaillit il y a dix-neuf cents ans d’un cri de pardon poussé par Jésus mis en croix sur le Calvaire.


Ombre illustre, console-toi !
En tout lieu, la terre est égale,
Et lorsque la Parque fatale
Nous fait subir sa triste loi,
Peu nous importe où notre cendre
Doive reposer pour attendre
Ce temps où tous les préjugés
Seront à la fin abrogés.
Ces lieux cessent d’être profanes
En contenant d’illustres mânes…
Au lieu d’ennuyeuses matines,
Les Grâces, en habit de deuil.
Chanteront des hymnes divines
Tous les matins, sur ton cercueil.
Théophile, Corneille, Racine
Sans cesse répandront des fleurs,
Tandis que Jocaste et Pauline
Verseront un torrent de pleurs.


III.

Lecouvreur avait frayé la voie, les deux Quinault[1] l’agrandirent. Toutes deux belles et ayant l’esprit de leur beauté, avec cette science du monde qui tient lieu de tout aux médiocres, et répare les injustices de la fortune envers les gens distingués, nées en quelque sorte aussi avec cet art de vivre longtemps qui fortifie les réputations, semble conférer à la même personne le don de la métempsycose, et ce charme accumulé fait d’expérience, d’harmonie fondue, de la fréquentation des talens dont on s’assimile insensiblement quelques parcelles, de ce lustre spécial que les années impriment aux hommes, aussi bien qu’aux monumens et aux tableaux ; l’une vécut presque cent ans, l’autre[2] plus de quatre-vingt-cinq. Comédienne assez ordinaire sur les planches, qu’elle quitta de bonne heure, artiste admirable sur la scène du monde, Marie-Anne Quinault trouva bien vite l’emploi de son génie : elle plut à Samuel Bernard, au marquis de Nesle, au duc d’Orléans, puis au duc de Nevers, qui l’épousa en secret, et lui laissa cent mille livres par testament, mais elle eut le tact de refuser la publication

  1. Mémoires (apocryphes) de Mlle Quinault l’aînée, par Lamothe-Langon, 2 vol. ; Lemazurier, Galerie des acteurs du Théâtre-Français ; Mémoires de Mme d’Épinay ; Biographie Michaud ; un Petit-neveu de Mazarin ; le Duc de Nivernais, par Lucien Perey, t. Ier, p. 72 et suiv. ; Collé, Journal historique ; Œuvres du comte de Caylus.
  2. Quinault (Jeanne), née en 1699 à Strasbourg, morte en 1785 ; Quinault (Marie-Anne), reçue en 1715, quitte le théâtre en 1722, serait morte en 1790.