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Marmont espérait être appelé au ministère de la guerre. Il était bien en cour et très protégé par Vitrolles, mais il était encore plus décrié que Dupont. Les soldats disaient : « Si le maréchal Judas ose prendre un commandement en temps de guerre, son affaire sera bientôt faite. » Dans les salons comme dans les corps de garde, on contait que beaucoup de personnages déclinaient ses invitations à dîner, qu’à Châtillon, des ouvriers avaient refusé de travailler pour lui, que la duchesse de Raguse, honteuse de porter un nom déshonoré, demandait le divorce. Marmont était impossible. Louis XVIII nomma un autre royaliste, zélé, le maréchal Soult.

D’abord en disgrâce, Soult avait été relevé de son commandement et exclu de la chambre des pairs. Ce n’était pas qu’il eût tardé à se retourner du côté du soleil levant, puisque, le 1er mai à Toulouse, il proposa au duc d’Angoulême de marcher sur Paris, avec ses vieux soldats d’Espagne « pour jeter par les fenêtres » les constituans trop libéraux du sénat. Mais on l’accusait « d’avoir fait verser inutilement le sang français » en livrant la bataille de Toulouse, et l’on redoutait l’audacieuse ambition de ce capitaine qui avait rêvé la monarchie du Portugal et que les couronnes de ses camarades, Murat et Bernadotte, empêchaient de dormir. Dans les derniers jours de juin, cependant, sur les instances du comte de Bruges, qui se porta garant de son dévoûment, le maréchal fut nommé gouverneur de la 13e division militaire. À Rennes, il fit éclater son zèle pour la cause du roi et de la religion. Déjà, en écoutant à Notre-Dame le panégyrique de Louis XVI, il avait été tellement touché « que des larmes roulaient dans ses yeux. » Après avoir publié une ardente proclamation royaliste, il s’occupa de faire offrir à Louis XVIII par les populations bretonnes, en don de joyeux avènement, une grosse somme d’argent ; puis il provoqua dans toute la France une souscription pour ériger un monument aux victimes de Quiberon. On blâma généralement ce projet, qui réveillait des souvenirs blessans pour tout le monde ; mais la cour en sut gré au duc de Dalmatie, et si grands que fussent ses talens militaires et administratifs, le monument de Quiberon ne fut pas son moindre titre aux yeux du roi quand il fallut remplacer Dupont.

La nomination de Soult fut accueillie avec confiance dans les premiers jours. Quoiqu’il vînt « de chouanner un peu en Bretagne, » on attendait de lui plus de justice et d’ordre que de Dupont. Malheureusement, Soult n’avait pas seulement à bien servir les intérêts de l’armée, ce qui eût été cependant le meilleur moyen de bien servir le roi. Il était obligé de donner d’abord de nouveaux gages au parti qui l’avait fait ministre, et il ne suffisait pas pour cela de prendre un chapelain au ministère de la guerre, comme