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il s’en empressa. Louis XVIII avait dit à Dupont, au cours de son audience de congé : — « Nous avons été trop bons, vous et moi. Il fallait de la sévérité. » On voulait une main de fer, et l’on se flattait de l’avoir trouvée chez Soult qui s’était engagé vis-à-vis de son protecteur, le comte de Bruges, à rétablir promptement la discipline. Pour commencer, il résolut de bannir de Paris tous les officiers à la demi-solde, en assignant à chacun d’eux son lieu de naissance comme résidence. Mais comprenant bien que cette mesure, vraiment révoltante, qui assimilait des officiers français aux forçats libérés, provoquerait la résistance, il s’avisa comme moyen d’intimidation de faire un exemple éclatant.

À la fin du mois de novembre, le docteur Andral, médecin de la cour de Naples, passant à Paris, le général Exelmans, ancien aide-de-camp de Murat, lui avait confié une lettre pour ce roi. La lettre fut saisie à Villejuif, le 27 novembre, dans les papiers de lord Oxford, grand admirateur de Napoléon et de Murat, à qui Andral l’avait confiée[1], et bien qu’elle ne contînt que des félicitations, des vœux et de vagues offres de services[2], on s’en émut aux Tuileries. Dupont, encore ministre, gronda amicalement Exelmans et l’engagea à se montrer plus circonspect à l’avenir. L’affaire en était restée là, lorsque le surlendemain de la nomination de Soult, Exelmans fut de nouveau mandé au ministère. Soult le réprimanda durement pour sa lettre, et lui reprocha en outre (1)

  1. D’après la lettre même d’Exelmans : « Je profite de l’occasion de M. A…, » cette lettre fut remise à Andral, mais d’après les lettres de Wellington à Liverpool, à Castlereagh, à lord Oxford 5 Paris, 28 novembre (Dispatches, XII et Supplément II), elle fut saisie dans les papiers de lord Oxford. — À en croire une lettre de N… au prince de Laval, Paris, 13 décembre (Archives des affaires étrangères, 675), la police aurait saisi en même temps une lettre de Mme de Staël à Murat ainsi conçue : « Je vous adore non parce que vous êtes roi, non parce que vous êtes un héros, mais parce que vous êtes un vrai ami de la liberté. » Ajoutons, d’après un rapport de police du 26 décembre 1814 (Archives nationales, F7, 3739), que Dandré aurait rendu cette lettre à Mme de Staël en lui disant : — « Madame, faites ce que vous voudrez, écrivez, sortez de France, restez-y. On met si peu d’importance à ce que vous faites, à ce que vous dites, à ce que vous écrivez que le gouvernement ne veut pas s’en occuper. Voilà ce que je suis chargé de vous dire de la part de Sa Majesté. »
  2. «… Je vous félicite de l’arrangement de l’affaire de Naples… L’Europe est forcée de vous reconnaître, excepté, cependant, ceux qui ne sont nullement dangereux pour un souverain tel que vous… Mais si les choses n’avaient pas pris pour Votre Majesté une tournure aussi favorable, un millier de braves officiers, instruits à l’école et sous les yeux de Votre Majesté, seraient accourus à sa voix pour lui offrir leurs bras. » Exelmans à Murat, s. d. (20 novembre 1814.) (Dossier d’Exelmans, Archives de la guerre.) Exelmans avait écrit du même coup à Détrez, aide-de-camp de Murat, afin de lui réclamer sa solde arriérée. Pour des juges non prévenus, la lettre à Détrez n’était-elle pas le vrai motif de la correspondance d’Exelmans, et n’avait-il pas écrit à Murat uniquement parce qu’il écrivait à Détrez ?