Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/814

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grande sensation dans Paris et dans la France entière. L’opposition représenta l’arrêt du conseil de guerre comme « une victoire d’avant-poste. » Le Censeur, le seul des journaux qui donna les plaidoiries, fut lu avec avidité. Les lettres de félicitations parvinrent par centaines à Exelmans et à Comte, son vigoureux défenseur. La duchesse de Raguse, qui ne manquait aucune occasion d’afficher son bonapartisme, se fit présenter le général Fressinet, autre conseil d’Exelmans, et l’embrassa en plein salon. Pour les royalistes, qui espéraient une condamnation sévère (le duc de Berry avait demandé au roi qu’il s’engageât à ne point faire grâce)[1], ils dissimulèrent leur confusion en faisant célébrer dans leurs journaux l’indépendance de la justice sous le descendant de saint Louis. « Au temps de Buonaparte, dit le Journal des Débats, les choses eussent tourné d’une autre façon. » Mais la cour avait beau paraître triompher de cette défaite, elle n’en voulait pas moins au maréchal Soult, qui offrit sa démission. On lui reprochait son zèle maladroit. Il n’aurait pas dû traduire Exelmans devant un conseil de guerre « s’il n’était pas sûr des généraux ! »

« Sûr des généraux, » on n’avait pu jamais l’être au point d’attendre d’eux un arrêt inique. Mais il était vrai de dire que l’enthousiasme pour les Bourbons qu’ils avaient manifesté aux premiers jours de la restauration s’était refroidi. Tous les officiers-généraux qui possédaient des dotations en pays étranger les avaient perdues. Un grand nombre d’entre eux avaient été mis à la demi-solde. Plusieurs, comme Exelmans, avaient été maltraités, outragés. La croix de Saint-Louis, conférée au général Milhaud, lui fut enlevée parce qu’il était régicide. — On aurait pu se rappeler son vote à la Convention avant de le décorer. — Davout, injurieusement accusé d’avoir enlevé les fonds de la banque de Hambourg, fut relevé de son commandement, exclu de la chambre des pairs, relégué à Savigny-sur-Orge. Il demandait à passer devant un conseil d’enquête ; on lui refusa ce moyen de se justifier, comme si l’on voulait laisser courir la calomnie. Vandamme subit un affront aux Tuileries. Comme il se présentait avec, des officiers de son grade à l’audience publique du roi, un huissier l’invita tout haut à se retirer. Le surlendemain, il reçut l’ordre de Dupont de s’éloigner de Paris dans les vingt-quatre heures et de se rendre dans

  1. Procès-verbaux du conseil des ministres, 26 décembre. (Archives nationales, AF V1.) — Le roi, qui était encore dans sa période débonnaire, répondit très bien à l’ardent duc de Berry : « — Mon neveu, n’allons pas plus vite que la justice. »