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ses propriétés de Cassel[1]. Le duc de Berry brutalisa des officiers. Pour une question de préséance, le duc de La Force traita comme un tambour le général Laplane. La solidarité militaire faisait ressentir à tous les injustices et les outrages subis par quelques-uns. — « Je détestais Bonaparte, disait le général Chouart, mais les Bourbons me le font aimer. »

Même les officiers-généraux qui étaient le plus en faveur, qui avaient un commandement, la pairie, leurs entrées au château, qui voyaient toutes leurs vanités satisfaites, souffraient dans leur fierté. D’abord ils s’étaient trouvés très flattés d’approcher le roi, d’être reçus « dans une vraie cour, » de frayer avec « de vrais princes, » de troquer leurs titres de maréchaux d’empire et de généraux de division contre ceux de maréchaux de France et de lieutenans-généraux des armées du roi. Sans qu’ils se l’avouassent, car on sent ces choses-là, mais on ne se les avoue pas, il leur semblait être désencanaillés. Marmont nous apprend que Louis XVIII avait plus de majesté que Napoléon. D’autres maréchaux pensaient vraisemblablement comme Marmont, et ils étaient tout fiers de servir un homme si majestueux. Mais cette première heure d’éblouissement avait été courte. Les chefs de l’armée ne tardèrent pas à s’apercevoir qu’aux Tuileries, ils n’étaient plus chez eux. Leur présence était seulement tolérée. On plaisantait la Légion d’honneur, les ducs et les comtes « jadis va-nu-pieds ; » les généraux dont les pères avaient tanné du cuir ou cerclé des tonneaux. Les journaux rappelaient en raillant que Murat (ils avaient pour mot d’ordre de ne pas l’appeler le roi de Naples) était fils d’un aubergiste. À la cour, le dédain perçait sous la politesse affectée des grands seigneurs. On daignait les considérer comme des héros, ces soldats illustres, mais cela n’empêchait pas de les regarder comme des parvenus. Ils avaient gagné des batailles, mais « ils n’étaient pas nés, » et s’ils avaient versé leur sang, ce n’était pas du sang bleu. Plusieurs étaient pairs de France, mais les nobles ne tenaient pas « ces anoblis » pour leurs égaux. « — Quel dommage, disait amicalement un vieux duc à un maréchal de France, quel dommage que vous n’ayez pas, comme un de nous, ce qui ne se donne pas ! »

Les femmes des dignitaires de l’empire, qui, bien qu’elles ne fussent pas toutes d’ex-vivandières comme la maréchale duchesse

  1. Wellington à Castlereagh, Paris, 4 octobre. (Dispatches, Supplément, IX.) Vandamme à Marmont, 10 octobre. (Archives de la guerre.) — En traitant ainsi un général français, le roi servait ou paraissait servir les haines allemandes que Vandamme avait provoquées dans ses divers commandemens d’outre-Rhin par son excessive sévérité.