Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Mais, dit Mme de Verdun, je ne vous ai jamais vue si coquette. — Je me suis parée ainsi, reprit l’aimable femme, parce que je dois mourir aujourd’hui. » Et sans plus s’inquiéter, estimant sans doute que la sagesse commande de sortir de ce monde comme nous y sommes entrés, elle alla là-haut quérir un grand peut-être.


IV.

Le Roman comique, Gil Blas, le Capitaine Fracasse[1] ont peint l’existence des comédiens nomades, leurs tribulations de tout genre, les minces succès et les modestes gains qui contrastent si fort avec les tournées triomphalement fructueuses des grands acteurs de la capitale. Au maréchal de Saxe, au vainqueur de Fontenoy, de Raucoux, de Lawfeld, il était réservé d’ajouter un chapitre à ces odyssées dramatiques, et, en même temps, une page médiocrement honorable à l’histoire de sa vie intime. De sa liaison avec Adrienne Lecouvreur, on sait qu’il conserva un goût très vif du théâtre… et des princesses du théâtre. Volage et sensuel, passionné au point de se lamenter du départ d’une actrice comme s’il eût perdu une grande bataille, tour à tour Almaviva et Bartholo, dupeur et dupé, magnifique et ridicule, grand capitaine et aventurier cupide, esprit lumineux en face de l’ennemi, hanté sans cesse de chimères d’ambition royale, tel se dessine ce personnage étrange, dans la double complexité de son être, assez exempt de sens moral pour appliquer à l’honneur d’une femme les ruses de guerre qu’il employait contre l’ennemi. Afin d’entretenir la gaîté de ses soldats, afin surtout de subvenir à ses plaisirs (pour qui serait la volupté si l’on en privait les grands hommes ? se disait-il sans doute), il avait auprès de lui une troupe comique qui, de son propre aveu, lui coûtait plus de peine à diriger que son armée à conduire, ce dont on ne saurait s’émerveiller, puisque l’imprésario mettait continuellement son cœur dans l’aventure. Qu’on en juge par l’analyse de la pièce suivante. Personnages : M. Favart, directeur du théâtre du maréchal, — Justine Favart ou Mlle de Chantilly, sa femme, — Maurice de Saxe, traître et amoureux, — Ducoudray, vieillard corrompu, père de Mme Favart, — soldats, exempts. La scène se passe au camp, en Belgique, puis au couvent, à Paris, au château de Chambord.

  1. Mémoires de Marmontel ; Favart, Mémoires et Correspondances littéraires, 3 volumes ; Théâtre de Favart, 10 vol. ; Correspondance littéraire de Grimm ; Mémoires de Bachaumont ; Collé, Journal historique ; Saint-René Taillandier, Maurice de Saxe ; Emile Campardon, les Comédiens du roi de la troupe italienne ; les Spectacles de la foire ; Souvenirs du marquis de Valfons.