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Favart était la providence du théâtre de la Foire[1], le La Fontaine de l’Opéra-Comique, auquel ses œuvres assuraient un succès toujours croissant : ce que voyant, les comédiens français et italiens conjurèrent la ruine de ce théâtre, et, malgré les représentations de l’Académie royale de musique, dont il était tributaire, obtinrent sa suppression (1745). Presque au même moment, et peu après son mariage avec sa chère Justine, Maurice de Saxe lui offrait la direction de sa troupe : elle entrait, dit-il gracieusement, dans ses vues politiques et dans le plan de ses opérations militaires. Favart accepta avec empressement, réorganisa le personnel, et, ne négligeant aucun genre de spectacle, donnant lui-même des nouveautés qui se rapportaient aux événemens, réussit à merveille : le théâtre était devenu le point de réunion des officiers, un moyen d’enthousiasme et de victoire. Un jour, par exemple, le maréchal appelle Favart et lui dit confidentiellement : « Demain, je livrerai bataille, on n’en est pas encore instruit ; faites-la annoncer ce soir par des couplets que vous composerez à cette occasion. » Et, en effet, à la fin du spectacle, un acteur s’avance et chante :


… Demain, bataille, jour de gloire ;
Que dans les fastes de l’histoire
Triomphe encor le nom français,
Digne d’éternelle mémoire !
Revenez après vos succès
Jouir des fruits de la victoire !


On s’étonne, on court à la loge du général qui confirme la nouvelle ; et les applaudissemens de retentir au milieu des cris de : Demain, bataille ! Demain, bataille ! Elle fut livrée, gagnée, et tout aussitôt la troupe recommença : des scènes improvisées le matin furent jouées le soir même, de nouveaux couplets chantés, qui, pour exalter davantage nos soldats, célébraient le courage de l’ennemi :


Anglais chéris de la victoire,
Vous ne cédez qu’aux seuls Français !
Vous n’en avez pas moins de gloire !

  1. « Un jour que mon père formait devant moi différens caractères avec des lames de plomb flexibles, je lui demandai ce qu’il faisait là. — Je joue aux lettres, me répondit-il. — Je le priai de m’apprendre ce jeu ; après me l’avoir fait désirer quelque temps, il feignit de se rendre à mes prières, et je goûtai, pour la première fois, le plaisir d’avoir désiré. Quand je n’avais pas été sage, on me défendait de jouer aux lettres, ce qui m’en donnait plus d’envie ; enfin au bout de neuf à dix mois, je savais lire couramment et tracer des mots. Ma mère, de son côté, feignit de vouloir apprendre le latin : je fus chargé du soin de lui faire répéter son rudiment, et de la reprendre lorsqu’elle ferait quelque faute. C’est ainsi que je m’instruisais moi-même sans le savoir, et (Mémoires de Favart.) Il fut d’abord pâtissier et chansonnier comme son père, homme aimable et spirituel auquel on doit l’invention des échaudés.