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de vins exquis, de chevaux, d’un lit de camp de satin rayé, confidences, offre de puiser dans sa bourse. Mais Jupiter ne réussit guère à charmer Danaé ; celle-ci adore son époux ; et c’est plaisir d’entendre le maréchal employer au début la langue des petits-maîtres, le caquetage des ruelles. Lisez plutôt cette lettre mythologique et musquée que ne désavoueraient ni Chaulieu, ni Dorat. Est-ce l’élève de Lecouvreur ? est-ce un secrétaire du héros qui tient la plume ? « Mademoiselle de Chantilly, je prends congé de vous ; vous êtes une enchanteresse plus dangereuse que feu Mme Armide. Tantôt en Pierrot, tantôt travestie en Amour, et puis en simple bergère, vous faites si bien que vous nous enchantez tous. Je me suis vu au moment de succomber aussi, moi dont l’art funeste est d’effrayer l’univers. Quel triomphe pour vous, si vous aviez pu me soumettre à vos lois ! Je vous rends grâces de n’avoir pas usé de tous vos avantages ; vous ne l’entendez pas mal pour une jeune sorcière, avec votre houlette, qui n’est autre que la baguette dont fut frappé ce pauvre prince des Français, que Renaud l’on nommait, je pense. Déjà je me suis vu entouré de fleurs et de fleurettes, équipage funeste pour tous les favoris de Mars. J’en frémis, et qu’aurait dit le roi de France et de Navarre si, au lieu du flambeau de sa vengeance, il m’avait trouvé une guirlande à la main ? Malgré le danger auquel vous m’avez exposé, je ne puis vous savoir mauvais gré de mon erreur, elle est charmante ! Mais ce n’est qu’en fuyant que l’on peut éviter un péril si grand :


Adieu, divinité du parterre adorée ;
Faites le bien d’un seul et les désirs de tous ;
Et puissent vos amours égaler la durée
De la tendre amitié que mon cœur a pour vous !


« Pardonnez, mademoiselle, à un reste d’ivresse cette prose rimée que vos talens m’inspirent ; la liqueur dont je suis abreuvé dure souvent, dit-on, plus longtemps qu’on ne pense. — M. DE SAXE. »

Le caprice devient passion. Mme Favart, prenant prétexte de sa santé, se réfugie à Bruxelles auprès de la duchesse de Chevreuse, puis à Paris, tandis que le maréchal retire sa protection au mari, et qu’à son instigation, les propriétaires du théâtre de Bruxelles, dont le loyer avait été fixé verbalement à 150 ducats, réclament une somme de 26,000 francs, obtiennent décret de prise de corps contre lui, avec saisie des effets de son magasin. Voilà Favart obligé de s’enfuir, allant trouver Maurice à Chambord (1749), invoquant son témoignage, n’obtenant que de vaines promesses, et, en fin de compte, ruiné par cette traîtrise. De Strasbourg, où il s’est caché, il écrit à sa fidèle Justine les lettres les plus tendres, et, prestige