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ne doute pas que là-dessus Mme de Mérignac ne se soit empressée de lire le livre de Toland, et je ne crains pas d’ajouter qu’elle en aura mieux ou plus profité que Marais. Car celui-ci, à bien des égards, est encore de ces libertins du XVIIe siècle qui, selon qu’ils étaient « en pied, » comme il dit, » ou réformés par une longue maladie, » ne laissaient pas de différer sensiblement d’eux-mêmes. Il semble aussi que, de leur ami Bayle, ce qu’il aimait surtout, ce fût l’érudit, le curieux d’anecdotes et de particularités, le discuteur de questions saugrenues. Mais Mme de Mérignac, plus hardie, plus « pyrrhonienne, » appréciait surtout le philosophe, l’esprit libre et dégagé, le penseur audacieux dont nous avons essayé de préciser la doctrine. Aussi, pour retourner Marais, suffisait-il de la conversion ou de la fin édifiante et pieuse d’un incrédule de sa connaissance. Mais Mme de Mérignac était plus ferme en ses idées ; et non-seulement nous lui devons le portrait de Bayle, qu’elle fit graver, et la grande édition de ses Œuvres, dont elle prépara les matériaux ; mais tout donne à croire qu’à ces services littéraires elle ajouta l’hommage d’une pensée déjà détachée de toute croyance positive, mûre pour le déisme, et conforme au plus strict enseignement du maître.

On trouve encore quelque chose de plus dans les aveux d’une autre femme du même temps, à peine plus connue, Mme de Staal-Delaunay. Tout le monde a lu ses Mémoires, et personne, je pense, ne les a oubliés. La lucidité de style, ou plutôt la transparence en est incomparable, et si jamais l’expression se calqua sur l’idée, c’est dans ces deux ou trois cents pages. Il n’en est pas moins vrai qu’en ayant l’air de tout dire, on n’a jamais ni plus adroitement dit que ce que l’on voulait dire, et c’est merveille de voir si peu de choses éclaircies par tant de clarté ! Quelques anecdotes, mais tout à fait caractéristiques, voilà ce que contiennent les Mémoires de Mme de Staal-Delaunay ; et quelques indications involontaires, mais précieuses, voilà tout ce que nous en voulons retenir ou saisir en passant.

Dirai-je qu’elle est l’une des premières qui ait reçu de ses maîtres ou de la mode une éducation scientifique ? Non, sans doute, puisque Molière et Boileau se sont assez moqués des femmes savantes.


Qui s’offrira d’abord ? Bon ! C’est cette savante
Qu’estime Roberval et que Sauveur fréquente…


Mais, comme on l’a remarqué plus d’une fois, elle est l’une des premières dont le style emprunte à la physique ou à la géométrie quelques-unes de ses plus agréables trouvailles. C’est le chevalier