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d’Herb…y qu’elle dispute à Mlle de Silly. « La conquête était des plus minces, dit-elle, mais dans la solitude les objets se boursouflent, comme ce que l’on met dans la machine du vide. » C’est M. de Rey, un autre galant, dans les sentimens duquel elle découvre quelque diminution. « Il me donnait la main pour me conduire jusque chez moi. Il y avait une grande place à passer, et dans les commencemens de notre connaissance il prenait son chemin par les côtés de cette place. Je vis alors qu’il la traversait par le milieu : d’où je jugeai que son amour était au moins diminué de la différence de la diagonale aux deux côtés du carré. » C’est M. Le Blanc qui l’interroge, à l’occasion de la conspiration de Cellamare, et elle se tire adroitement de l’interrogatoire. « Je fus, dit-elle, assez contente de moi,… ne m’étant pas presque écartée du vrai, dans lequel il me semble que l’esprit forcé à quelque détour rentre aussi naturellement que le corps qui circule rattrape la ligne droite. » Fontenelle a passé par là. Ce qui, du temps de Molière, était encore chez une femme une espèce de ridicule est devenu maintenant une élégance, — nous dirions, de nos jours, un sport. Mieux encore que cela : l’astronomie, la géométrie, la physique, ne suffisent déjà plus ; l’anatomie s’y joint ; et le naïf du Verney, vantant à la duchesse du Maine les mérites de Mlle Delaunay, la loue singulièrement d’être « la fille de France, dit-il, qui connaît le mieux le corps humain. »

C’en est l’une au moins de celles qui ont le mieux entrevu l’opposition toute prochaine de la science et de la foi. Engagée par une amie dans l’étude de la philosophie de Descartes, et tout entière à la nouveauté des découvertes qu’elle y fait, des doutes ou des inquiétudes lui viennent. Elle craint que « la philosophie n’altère la foi, » et d’abord elle y renonce. Puis elle y revient, — à Descartes je veux dire, pour se consoler d’un dépit amoureux, — et cette fois elle prend le chemin de la géométrie. Ceci est significatif. Car, à feuilleter ses Mémoires, et à voir quels furent ses amis, Fontenelle, et ce vieux Chaulieu, qui lui adressait, à plus de quatre-vingts ans, les vers que l’on connaît :


Launay, qui souverainement,
Possèdes le talent de plaire,
Qui sais de tes défauts te faire un agrément,
Et des plaisirs du changement
Jouir sans paraître légère
Même aux yeux d’un fidèle amant.
Coquette, libertine et peut-être friponne…


la liberté de ses mœurs n’a pu manquer de finir par égaler l’indépendance de son esprit. Ce n’est plus tout à fait ce que nous avons