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on s’assure d’un fait, demain d’un autre, qui n’y a nul rapport… Mais le temps viendra peut-être qu’on joindra en un corps régulier ces membres épars, et s’ils sont tels que l’on le souhaite, ils s’assembleront en quelque sorte eux-mêmes. Plusieurs vérités séparées, dès qu’elles sont en assez grand nombre, offrent si vivement à l’esprit leurs rapports et leurs mutuelles dépendances, qu’il semble qu’après avoir été détachées par une espèce de violence les unes des autres, elles cherchent naturellement à se réunir.


On lit encore, dans une autre Préface, le passage suivant sur les rapports de la physique et de la géométrie.


La géométrie n’a presque aucune utilité si elle n’est appliquée à la physique, et la physique n’a de solidité qu’autant qu’elle est fondée sur la géométrie. Il faut que les subtiles spéculations de l’une prennent un corps, pour ainsi dire, en se liant avec les expériences de l’autre, et que les expériences, naturellement bornées à des cas particuliers, prennent, par le moyen de la spéculation, un esprit universel et se changent en principes. En un mot, si toute la nature consiste dans les combinaisons innombrables des figures et des mouvemens, la géométrie, qui seule peut calculer des mouvemens et déterminer des figures, devient indispensablement nécessaire à la physique, et c’est ce qui paraît visiblement dans les systèmes des corps célestes, dans les lois du mouvement, dans la chute accélérée des corps pesans ; dans les réflexions et les réfractions de la lumière, dans l’équilibre des liqueurs, dans la mécanique des organes des animaux, enfin, dans toutes les matières de physique qui sont susceptibles de précision, car, pour celles qu’on ne peut amener à ce degré de clarté, comme les fermentations des liqueurs, les maladies des animaux, etc., ce n’est pas que la même géométrie n’y domine, mais elle y devient obscure et presque impénétrable par la trop grande complication des mouvemens et des figures.


Ajoutons quelques lignes encore, dont on verra mieux l’intérêt ou la portée philosophique, après cette apologie de la géométrie :


L’esprit géométrique n’est pas si attaché à la géométrie qu’il n’en puisse être tiré et transporté à d’autres connaissances. Un ouvrage de morale, de politique, de critique, peut-être même d’éloquence, en sera plus beau, toutes choses égales d’ailleurs, s’il est fait de main de géomètre. L’ordre, la netteté, la précision, l’exactitude qui règne dans les bons livres depuis un certain temps, pourraient bien avoir leur source dans cet esprit géométrique, qui se répand plus que jamais, et qui, en quelque façon, se communique de proche en proche à ceux-mêmes qui ne