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connaissent pas la géométrie. Quelquefois un grand homme donne le ton à tout son siècle : celui à qui on pourrait le plus légitimement accorder la gloire d’avoir établi la gloire de raisonner était un excellent géomètre.


Non-seulement donc, si nous l’entendons bien, — car Fontenelle nous laisse aussi le soin de compléter sa pensée, — chaque science, en son particulier, physique ou géométrie, chimie ou histoire naturelle, progresse en s’enrichissant de vérités qu’elle ne connaissait pas ; mais chaque progrès qu’elle accomplit se répercute lui-même dans les autres sciences ; et ainsi la nature, assiégée dans ses derniers retranchemens, ne pourra tôt ou tard échapper à la nécessité de se rendre en livrant son secret. Il y a plusieurs théologies, il y a plusieurs philosophies ; il n’y a qu’une physique, et il n’y a qu’une histoire naturelle. Mais, de plus, à une certaine hauteur, les vérités qu’elles découvrent se rejoignent, se pénètrent, pour ainsi parler, se composent ensemble les unes les autres, et, dans une connaissance à la fois plus précise et plus étendue des rapports qu’elles soutiennent, en cela même consiste le progrès. « Amassons donc toujours, au hasard de ce qui en arrivera, des vérités de mathématiques et de physique. » S’il y en a par elles-mêmes d’apparemment inutiles, nous verrons qu’il est rare que « le concours de plusieurs vérités ne produise pas un usage. » Elles s’éclaireront les unes par les autres. Si nous n’en saisissons pas d’abord les liaisons ou les correspondances, les affinités plus cachées, d’autres viendront après nous qui les apercevront, grâce à nous. Ne négligeons même pas les singularités. « La nature, à force de multiplier et de varier ses ouvrages, ne peut s’empêcher quelquefois de trahir son secret. » Préparons-nous à le surprendre, car l’intelligence aussi fait des progrès, et la lente accumulation des faits tend d’elle-même, pour ainsi parler, au perfectionnement des méthodes. Et enfin « au pis-aller, » comme dit Fontenelle, quand toutes ces vérités devraient demeurer « infécondes » par rapport aux « usages sensibles ou grossiers, » nous n’en aurions pas moins, en l’imitant, retracé ou recréé le tableau même de la Nature.

Étendons-nous peut-être ici la pensée de Fontenelle au-delà de sa vraie portée ? Je ne le crois pas, quand je l’entends lui-même nous dire, en s’étonnant de la « grandeur et de la rapidité du progrès des sciences » de son temps, qu’il ne craint qu’une chose, qui est de « laisser peut-être aller trop loin ses espérances pour l’avenir. » On pourrait presque lui faire honneur, là-dessus, d’avoir « espéré, » sinon prévu, la vapeur et l’électricité. Mais il a fait bien davantage encore, si, pour avoir posé et prouvé la solidarité des sciences, il a permis à l’idée du progrès de devenir une conception