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l’examen microscopique ont rendu quelque sécurité aux éducateurs. Mais le mûrier languit sur un sol qui semble épuisé pour cet arbre ; on l’arrache en bien des endroits, on ne le replante nulle part. Actuellement, dans le canton de Villeneuve-de-Berg, l’hectare labourable vaut 6,000 francs et en rapporte 75. Les bras se font rares. Un courant d’émigration plus sensible chaque année emporte les ouvriers agricoles vers les villes, à Saint-Étienne, à Lyon. Cependant rien ne rebute l’amour du paysan propriétaire pour son maigre lopin. Il se plaint, il se plaint toujours, il ne lâche pas prise. Quelle race courageuse ! Après l’inondation de 1890, qui fit près de cinquante victimes et causa des dommages évalués à plusieurs millions, les riverains de l’Ardèche excitèrent l’admiration de tous les témoins par leur résignation tranquille, par la résolution avec laquelle ils se remirent à l’ouvrage, dès le lendemain, dans leurs champs dévastés.

Si l’on se rappelle maintenant l’humeur indépendante qui fut de tout temps le trait caractéristique de cette race, on comprendra que j’aie signalé dans nos montagnes vivaroises un type achevé de démocratie rurale, une petite Suisse française, avec sa population de pâtres, de libres agriculteurs, de bourgeois aux habitudes modestes, cantonnés dans l’horizon restreint de leur bourgade. Si l’on tient compte en outre du goût décidé de nos paysans pour le gouvernement établi, quel qu’il soit, on s’étonnera que l’adaptation d’un pareil peuple à la république ait pu souffrir quelques difficultés. Ces difficultés proviennent de deux causes : une question de personnes, une question de principe.

Bon nombre de gens ne viennent pas à la république, parce que la république s’offre à eux sous les traits de leurs rivaux d’aujourd’hui et d’hier, de leurs adversaires de toujours, du clan d’en face. Ils ne sont pas grands théoriciens d’abstractions ; la république ne saurait être pour eux une personne morale, une catégorie constitutionnelle. C’est le gouvernement servi par M. Un Tel, donc un mauvais gouvernement ; c’est surtout le gouvernement dont M. Un Tel se sert contre eux, donc un gouvernement abominable. Les premiers promoteurs de l’idée républicaine furent ici, comme partout, les esprits remuans, inquiets, affranchis de beaucoup de traditions chères à la masse du peuple. C’étaient les fils des libéraux protestataires sous l’Empire, les petits-fils des patriotes de la révolution, les arrière-neveux des camisards, et, il faut toujours en revenir là, des combattans huguenots de jadis. Or, sous peine de ne rien comprendre au classement et aux manifestations des partis entre Nîmes et Privas, on doit se persuader que toutes nos divisions politiques ultérieures ne font que continuer l’irréparable déchirement qui s’est produit au XVIe siècle. Il suffit que l’une des