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confessions arbore un drapeau pour que l’autre se range sous le drapeau opposé, parfois en faisant violence à ses goûts et à ses intérêts. Les petites feuilles régionales qui défendent la cause catholique et conservatrice ont la détestable habitude de prodiguer à tous leurs adversaires cette épithète de huguenots, variée seulement par celle de francs-maçons ; les deux se confondent volontiers sous la plume et dans la pensée des rédacteurs. Par un contre-coup naturel, la minorité protestante semble se solidariser, non-seulement avec le parti républicain, mais avec la pire démagogie, qui s’agite et crie pour tout ce parti. Il est à peine besoin de dire que nos vieilles familles réformées fournissent en Vivarais quelques-uns des élémens les plus solides, les plus respectables, les plus vraiment conservateurs de la population. Un jeune pasteur de mérite rédige dans la solitude de Vais, avec le concours d’hommes tels que MM. Allier et Ch. Gide, une revue d’études sociales, le Christianisme pratique, qui ferait honneur à une grande ville. Dans les centres protestans des Boutières, les idées d’ordre comptent des représentans qui ne le cèdent à personne en sage patriotisme ; cependant on ne les verra presque jamais s’allier aux catholiques pour une revendication commune. Prenons en exemple la question scolaire, à laquelle je viendrai tout à l’heure : les chefs religieux du protestantisme se plaignent de souffrir de la législation existante autant et plus que les catholiques ; ils réclament peu ou point, comme si la souffrance des adversaires était une consolation suffisante à la leur. Des deux côtés, l’antagonisme atavique parle plus haut que les similitudes d’opinions, d’intérêts, qui devraient réunir ces frères ennemis pour l’action concertée.

Par suite de cette irréductibilité foncière, et qui est, je le répète, encore historique plus que confessionnelle, les catholiques des cantons mixtes furent contre la république, parce que les protestans étaient pour. Il y avait d’autres incompatibilités de personnes moins déraisonnables. D’abord, cette dignité offensée dont j’ai parlé plus haut, la répugnance de la probité paysanne à se compromettre avec quelques individus sans aveu, trop facilement pourvus des charges municipales ou autres. Ensuite, et d’une façon plus générale, le ressentiment des coups reçus, rendus peut-être, depuis que les républicains locaux ont pris le dessus. Je crois volontiers qu’il y a quinze ans, quand les conservateurs étaient maîtres de la situation, ils ne se piquaient pas d’une exacte justice envers ceux de l’opinion contraire. Ces derniers se paient maintenant avec usure. Nous n’avons pas idée, à Paris, de la gêne quotidienne qu’une faction triomphante peut faire subir aux vaincus, dans les petites localités de province. Le mot de mise hors la loi n’est pas trop fort, surtout quand la république est exploitée par des comités d’un radicalisme avancé,