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possède pour se condamner volontairement à l’isolement. Après avoir eu pendant un quart de siècle la direction, au point de vue monétaire, d’une partie considérable de l’Europe, elle renoncerait à cette prééminence et sacrifierait l’influence qui en découle pour elle ? Pourquoi et dans quel intérêt ?

Le seul inconvénient de notre situation monétaire est la surabondance des écus d’argent. Cet inconvénient a atteint son maximum, il y a quinze ans ; il a cessé de s’accroître le jour où le monnayage a été arrêté. L’Union latine allège pour nous le poids de cette masse d’écus d’argent, sans nous enlever en quoi que ce soit le bénéfice éventuel d’une nouvelle évolution dans la production des métaux précieux et d’un retour de faveur pour le métal blanc. En attendant, ces écus remplissent utilement le rôle de monnaie d’appoint. Ils font face aux besoins d’une clientèle étendue et à une multitude de transactions auxquelles la monnaie divisionnaire ne satisferait pas. Dès qu’un règlement, il est vrai, atteint ou dépasse une cinquantaine de francs, l’or ou les billets de banque interviennent ; mais au-dessous de ce chiffre la place des écus d’argent devrait être tenue par ces petites coupures de papier-monnaie que tous les États qui en ont fait l’expérience s’empressent de rejeter, dès qu’ils le peuvent, et pour lesquelles nos populations rurales conservent une méfiance et une aversion traditionnelles.

Certains esprits absolus reprochent à l’Union latine de mettre obstacle à ce que la France rejette définitivement le bimétallisme qu’elle pratique, et adopte le régime de l’étalon d’or. Ils ne se préoccupent point de démontrer que les circonstances actuelles soient favorables à cette évolution et que notre pays soit mûr pour elle ; et ils paraissent prendre très peu de souci de la perte énorme que la démonétisation de l’argent infligerait à la France. Voici quinze ans que l’Allemagne garde dans les caves de ses banques un demi-milliard d’argent qu’elle ne peut vendre : comment la France en vendrait-elle cinq ou six Ibis autant ? On s’explique d’autant moins cette préoccupation théorique que, si la France comme la Belgique est légalement pour ses nationaux au régime du bimétallisme, pratiquement et dans ses échanges internationaux, elle est au régime de l’étalon d’or, aussi bien que l’Angleterre : seulement, voici l’avantage de sa situation sur celle de nos voisins. Paris ne ressent pas au même degré que Londres le contre-coup des moindres variations des marchés étrangers ; il est à l’abri des brusques resserremens de la circulation et des paniques qui résultent de la nécessité d’envoyer au dehors de grandes quantités d’or. La Banque de France, si de pressans besoins d’or se produisent, n’est pas, comme la Banque d’Angleterre, réduite à l’élévation de l’escompte comme unique moyen de défendre sa réserve : elle