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des Feux de Marcus Græcus, ouvrage latin tiré de sources arabes et grecques, mais dont les manuscrits ne remontent pas au-delà de l’an 1300. C’est aussi une compilation de recettes techniques, relatives pour la plupart à l’art de la guerre.

La recette relative à l’eau ardente a dû être ajoutée, après coup, au texte primitif ; car elle n’en fait pas partie dans un autre manuscrit qui existe à Munich, s’y trouvant transcrite en dehors du Traité des Feux et à la suite. Reproduisons cette recette, en raison des indications nouvelles et caractéristiques qu’elle contient.

« Préparation de l’eau ardente. — Prenez un vin noir, épais, vieux. Pour un quart de livre, ajoutez deux scrupules de soufre vif, en poudre très fine, un ou deux de tartre, extrait d’un bon vin blanc, et deux scrupules de sel commun en gros fragmens. Placez le tout dans un bon alambic de plomb ; mettez le chapiteau au-dessus, et vous distillerez l’eau ardente. Vous la conserverez dans un vase de verre bien fermé. »

Le manuscrit de Munich ajoute : « Voici la vertu et la propriété de l’eau ardente. Mouillez avec cette eau un chiffon de lin et allumez, il se produira une grande flamme. Quand elle est éteinte, le chiffon demeure intact. Si vous trempez le doigt dans cette eau et si vous y mettez le feu, il brûlera comme une chandelle, sans éprouver de lésion. » C’était encore là un tour de prestidigitateurs : le rôle de ces derniers est manifeste au début d’un grand nombre d’inventions, dans l’antiquité et au moyen âge.

Quoi qu’il en soit, les faits indiqués dans cette description sont exacts et ils montrent comment les premiers observateurs sont souvent frappés par des propriétés des corps, réelles ou apparentes, quoique presque insignifiantes.

Mais souvent aussi ils compliquent les opérations par certains détails superflus, sinon nuisibles, auxquels ils attachent la même importance qu’au reste, en raison des théories qui leur servent de guides : ces théories ont joué un certain rôle dans l’histoire de la science. Par exemple, dans la première recette de Marcus Græcus, il y a une indication singulière : celle de l’addition du soufre avant la distillation. Cette indication existe aussi dans un livre d’Al-Farabi, transcrit par un autre manuscrit de la même époque, et on la retrouve également dans l’ouvrage de Porta, la Magie naturelle, composé au XVIe siècle. Elle n’est donc pas accidentelle. Elle résulte, en effet, d’une idée théorique, exposée tout au long dans plusieurs textes. Les chimistes d’alors pensaient que la grande humidité du vin s’oppose à son inflammabilité, et c’était pour combattre la première que l’on ajoutait soit des sels, soit du soufre, dont la siccité, disait-on, accroît les propriétés