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chez les Boliviens, « les sauvages, » comme les appellent les autres républiques, fières de leur civilisation relative.


Le 6, à huit heures du matin, je dis adieu au Tafna. Une embarcation me dépose sur le quai de planches de Mollendo. Sans m’attarder à visiter ce petit port qui a tout l’air d’être une réédition de ceux que nous avons passés en revue le long de cette interminable côte, je me rends à la gare ou plutôt à ce qui lut la gare de Mollendo.

Il n’en reste que l’ossature, et même un peu moins que l’ossature, un grand squelette de fonte incomplet, des piliers et des traverses tordues reproduisant les linéamens de l’ancien édifice. Le sol circonscrit par ces ruines n’est pas en meilleur état. Au centre, dans une large excavation, des gravats, des pierres, des barres de fer brisées ou contournées, un amas de décombres dont l’origine remonte à douze ans. C’est là la gare de Mollendo.

On ne l’a pas retouchée depuis l’époque où elle fut bombardée par les Chiliens et réduite à sa condition présente.

À l’abri des trois ou quatre tringles figurant le toit primitif, on voit une banquette et un grillage. C’est de l’administration, car il y a derrière quelqu’un qui écrit, et on découvre un guichet : ce sont les bagages.

Le principal inconvénient d’une pareille installation disparaît aux yeux du nouveau-venu lorsqu’il apprend que sur cette côte il ne pleut presque jamais.

Au moment où je me présente pour l’enregistrement, deux militaires, que complète pittoresquement l’adjonction de la grosse caisse du régiment, forment un petit tableau de genre.

Je peux les considérer à mon aise à la faveur de quelques difficultés qu’on leur oppose pour l’embarquement du vénérable meuble. Du reste, tout finit par s’arranger, et, nonobstant, la grosse caisse est admise aux bagages.

Le premier, l’inférieur, est fort mal vêtu et pieds nus. Le second est tout aussi mal accoutré et pieds nus également. Ce qui le distingue, c’est un képi à trois galons d’or. Et le prenant pour un officier d’un grade déjà élevé, je m’apitoie sur un dénûment dont le spectacle, en France, serait déjà intolérable présenté dans la personne d’un simple soldat. Comme je l’ai appris depuis, le mal n’était pas aussi considérable que je me le représentais. Au Pérou et dans les républiques avoisinantes, l’armée n’a plus la forte constitution qu’on observe au Chili, dont les soldats pourraient figurer, sans infériorité trop marquée, à côté des troupes européennes. Pour commencer, la tenue n’y est pas astreinte à des prescriptions aussi inflexibles, et on se donne un peu du galon