Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/621

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’Histoire sainte et de l’Histoire ecclésiastique, les Bibles moralisées, les légendes de saints populaires étaient présentés sous la forme de recueils d’images dans lesquels le texte ne jouait souvent qu’un rôle secondaire ; mais il est aussi permis de croire qu’il y trouvait également la satisfaction de ce penchant naturel pour tout ce qui parle aux yeux qui le portait à faire peindre, soit dans les livres qu’il parcourait habituellement, soit sur les verrières de ses chapelles, les scènes dont il avait été témoin, goût inspiré certainement par cette singulière faculté d’observation qui, jusque dans les circonstances les plus tragiques, lui permettait de noter des détails insignifians en apparence. Cette précision dans l’observation est une garantie de l’importance historique de certaines des miniatures en question ; car, s’il résulte du texte même du Credo que les figures qui l’accompagnent forment un complément nécessaire de l’œuvre de l’écrivain, on en doit conclure qu’elles ont été composées sur ses indications, et l’une d’elles prend en ce cas la valeur d’un document biographique.

Joinville, en effet, rapproche de l’article du symbole relatif à la résurrection du Sauveur, les paroles si chrétiennes qu’il avait entendues tomber des lèvres d’un vieillard infidèle, au moment où les croisés prisonniers croyaient leur dernière heure arrivée. La représentation de cette scène est assurément la plus curieuse de toutes les miniatures du Credo. On y voit, au milieu des jeunes Sarrasins, « les espées traites, » le vieillard reconnaissable à sa petite taille, à sa barbe, à ses « treces chenues, » à ses béquilles. Malheureusement, aucun indice certain ne permet de distinguer Joinville dans le groupe des croisés. Tous portent des surcots à manches, et le sénéchal n’avait alors, — c’est lui-même qui le dit, — d’autre vêtement qu’une couverture fourrée où il avait fait un trou pour y passer la tête. En tout cas, cette peinture contribue à rendre infiniment précieux le petit ouvrage qu’elle accompagne : en même temps qu’on y trouve la reproduction figurée d’une des scènes les plus importantes de la vie de Joinville, ce livret contient comme le portrait moral de l’auteur, l’expression la plus complète de ses doctrines en matière religieuse ; doctrines où l’on peut chercher un reflet de celles de Louis IX.

La vie que le sénéchal allait mener pendant le reste de son séjour en terre-sainte n’avait plus rien de l’incertitude d’un service en campagne, et lui-même en a laissé un curieux tableau. Son train de maison était considérable, ainsi qu’il convenait au plus important des seigneurs restés auprès du roi ; mais c’était un bon ménager que Joinville, et ce n’est pas sans complaisance qu’il raconte comment il savait s’approvisionner au meilleur compte ou comment il faisait plus ou moins tremper le vin de ses gens, selon le