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bruit, porter son faible tribut au ruisseau. C’est là que se termine le sentier taillé par notre hôte ; or, si impatient que je sois d’explorer le ravin, je dois renoncer à cette dangereuse descente sur un sol détrempé qui cède sous les pieds, sur des roches glissantes. Nous remontons ; à mi-chemin je retrouve Dizio là où je l’ai laissé. Il nous précède pour nous livrer passage, pensif. Je longe, j’explore la rive gauche du ravin. Un emplacement, d’où je le découvre tout entier, large espace ombragé par un acajou rouge, sous lequel le sol est sec, me tente. Je demande à Mécatl s’il m’autorise à transporter là mon bivouac, à y séjourner quinze jours peut-être.

— Ce sol n’est pas à moi, me répond-il, il appartient à Dieu, et vous avez le droit d’en occuper tout l’espace dont vous avez besoin. Toutefois, ne serez-vous pas mieux près de la cabane, où nous avons des vivres et quelques-unes des commodités de la vie à votre disposition ?

Je remercie ; mais le lieu où je suis me plaît. J’aurai les objets de mon travail sous la main ; puis, la distance qui me séparera de la cabane est si courte que j’en serai à demi l’hôte ; les choses restent ainsi amicalement réglées.

Nous revenons sur nos pas, et nous partons à la recherche de nos bagages. Notre hôte nous accompagne pour nous guider dans un labyrinthe qui lui est familier. Il nous révèle qu’il a vu notre feu la veille, qu’il s’est suffisamment approché de nous pour nous entendre causer, qu’il a compris qu’il n’avait rien à redouter de nous, sans deviner pourtant ce qui nous amenait dans ce désert. Il a eu l’intention de nous interpeller, de nous offrir l’hospitalité ; il a craint de nous alarmer. Il a remis à Dieu le soin de nous conduire à la cabane, si telle était sa volonté.

Nous voilà équipés, prêts à gagner notre nouveau campement. Mais Dizio a regardé du côté des cactus, s’est arrêté en voyant Nitla récolter les bienfaisantes figues qui nous ont attirés la veille.

Son père appelle la jeune fille ; elle accourt vers nous, la tête surmontée d’une corbeille pleine de fruits épineux. Elle est chaussée de sandales dont la double courroie s’enroule autour de la naissance de ses jambes, prend rang derrière son père et Désidério, lequel, de temps à autre, cause avec elle. La voix de la belle fille est harmonieuse, il n’en pouvait être autrement, à mon avis. Je marche sur les talons roses de la jeune sauvage, et son léger vêtement me révèle la perfection de son corps. Je l’interroge sans relâche, elle se tourne à demi pour me répondre, et c’est une joie pour moi de voir ce délicieux visage aux yeux sonrians. Il forme un contraste, ce visage à l’expression candide, avec le port, la taille, la démarche de la belle jeune fille ; j’allais dire classiquement, pour mieux peindre, de la jeune déesse.