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On ne voit pas pourquoi ces vers mythologiques, ambitieux, fort beaux d’ailleurs, ne seraient pas aussi bien de Ronsard ; et ce sont les deux quatrains du premier sonnet que nous connaissions de Malherbe. Il est daté de 1585. Les Larmes de saint Pierre, imitées de Tansillo, sont de 1587. André Chénier, dont nous avons un intéressant commentaire sur quelques pièces de Malherbe, trouvait la versification de ce poème « étonnante ; » et Sainte-Beuve, depuis, y a signalé « un éclat d’images, une fermeté de style, et une gravité de ton qui ne pouvait, dit-il, appartenir qu’à la jeunesse de Malherbe. » Mais aucune de ces qualités, que je sache, n’avait non plus été tout à fait étrangère à Ronsard, et peut-être y a-t-il moins de » fermeté de style, » ou de « gravité de ton, « dans des vers comme ceux-ci, que de mollesse ou de « morbidesse » à l’italienne :


Pas adorés de moi, quand par accoutumance
Je n’aurais, comme j’ai, de vous la connaissance,
Tant de perfections vous découvrent assez ;
Vous avez une odeur des parfums d’Assyrie ;
Les autres ne l’ont pas ; et la terre flétrie
Est belle seulement où vous êtes passés.


Voici encore un joli tableau de l’Aurore, — dans le goût du Guide ou de l’Albane, ses contemporains, — que Ronsard ou Desportes même, beaucoup plus maniéré que Ronsard, aurait pu envier à Malherbe :


L’Aurore d’une main, en sortant de ses portes,
Tient un vase de fleurs languissantes et mortes ;
Elle verse de l’autre une cruche de pleurs,
Et d’un voile tissu de vapeur et d’orage
Couvrant ses cheveux d’or, découvre en son visage
Tout ce qu’une âme sent de cruelles douleurs.


Ce mot de « cruche, » que certainement le poète aurait rayé plus tard, et le prosaïsme du dernier vers sentent encore leur XVIe siècle. Mais quelques fadeurs ne le sentent pas moins, et font plutôt songer du poète favori d’Henri III, — c’est toujours Desportes, — que du futur Malherbe :


Beau ciel, par qui mes jours sont troubles ou sont calmes.
Seule terre où je prends mes cyprès et mes palmes,
Catherine, dont l’œil ne luit que pour les dieux,
Punissez vos beautés plutôt que mon courage,
Si, trop haut s’élevant, il adore un visage
Adorable par force à quiconque a des yeux.


Est-il seulement vrai que « sur le but, sur la nature, sur le principe même de la poésie, » Malherbe et l’école de Ronsard « soient