Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/667

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en complet désaccord, » ainsi que le dit M. Brunot ? Oui et non, car il faut distinguer, et c’est ce que nous ferons tout à l’heure. Mais, en attendant, quand M. Brunot oppose à l’ardeur désintéressée de Ronsard la philosophie, très pratique ou un peu cynique même, de Malherbe, n’abuse-t-il pas contre celui-ci de quelques boutades éparses dans ses lettres, et des dires de quelques anecdotiers ? Si Malherbe, en le plaçant ailleurs, n’avait pas mis tout aussi haut que Ronsard l’objet de la poésie, pourquoi donc, ajoutant, corrigeant, et raturant sans cesse, aurait-il employé six ans à taire une ode ? On lui reproche d’avoir dit qu’un bon poète n’était pas plus utile à l’État qu’un bon joueur de quilles. Mais une plaisanterie n’est pas toujours une opinion ; et personne, en réalité, n’a porté plus haut que Malherbe le respect ou l’orgueil de son art. Notez qu’encore je ne chicane pas l’ardeur de Ronsard, ni le désintéressement de Desportes. Nous avons de Ronsard d’étranges Folâtreries, qui sont d’un poète, mais non pas d’un hiérophante, ou d’un « mage, » comme disait Hugo, Et Desportes, aux gages de son maître, s’est chargé, même en vers, de plus d’une malpropre besogne, où il y avait de l’art, sans doute, mais qui tenait moins du poète que de l’entremetteur. Dans la mesure donc où la Pléiade avait relevé la poésie française de son antique vulgarité, si c’est aussi vers les hauteurs que Malherbe a tendu de tout son effort, — ad augusta per augusta, c’est le cas de le dire, — sa poétique n’a pas différé celle de l’école de Ronsard ; et il a conçu autrement qu’eux la beauté, mais, comme Ronsard, c’est bien la réalisation de la beauté qu’il a donné pour but à la poésie.

Allons plus loin : si la grande innovation de Ronsard est d’avoir mis le poète à l’école de l’antiquité, d’avoir essayé de substituer aux « épisseries » de son temps, — ballade et virelai, chant royal et rondeau, — l’ode horatienne ou pindarique, le sonnet de Pétrarque, l’épopée d’Homère ou de Virgile, et d’avoir enfin ramené de l’exil les dieux de l’Olympe païen, sous ce rapport encore, Malherbe est bien son disciple et son héritier. Il se piquait, je le sais, d’être particulièrement ennemi du « galimatias de Pindare, » et on en verra dans un instant les raisons. « Virgile n’avait pas l’honneur de lui plaire, et il y trouvait beaucoup de choses à redire. » Il disait aussi d’un sonnet ou d’une épigramme sans aiguillon ni pointe qu’ils étaient « à la grecque. » Cela prouve tout simplement qu’il n’aimait pas Virgile et qu’il ne savait point le grec. On a le droit de choisir ses modèles, et Malherbe, quant à lui, les préférait latins, et de la décadence. Disons, si l’on le veut, que c’est une preuve de peu de goût. Mais a-t-il cru, comme Ronsard, que les anciens, en général, étaient et devaient demeurer nos maîtres ? A-t-il, comme Ronsard, — quoique d’ailleurs avec